Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mercredi 18 février 2015

La marche d'Œdipe - 4

     Quelques réflexions, trop vite faites, sur le gaz - j'y reviendrai.

     Je voulais presque intituler ce billet " Œdipe à Bologne " pour parler de cette (trop ?) grande identification de Pier Paolo Pasolini au personnage d'Œdipe. Sans doute reprendrai-je, plus tard, les éléments qui, de son premier film, Accatone, jusqu'au dernier, Salò, constituent une sorte de chemin de petits cailloux, laissés, comme le fait le petit Poucet dans le conte de Perrault, pour donner la cohérence de sa vie, comme une route tragique et violente annoncée depuis toujours peut-être, comme l'oracle de Tirésias et de la Pythie. Quinze courtes années, de 1960 à 1975, mais terriblement denses, qui jalonnent ainsi sa propre vie dans un combat permanent contre les idées étriquées de la société dont son œuvre reste un miroir.

     Je voudrais revenir sur l'intitulé de ces billets et sur le terme " marche ". Peut-être n'ai-je pas assez insisté sur la relation, tellement étroite qu'elle en est inséparable, entre la notion de marche et celle de la nature de l'humanité. C'est bien à la capacité à marcher, et à marcher debout grâce à la bipédie, que la nature humaine se détermine. Or ce que rappelle le mythe, et ce que redisent finalement un certain nombre d'artistes voyants - au sens d'Arthur Rimbaud -, c'est que la marche est l'attitude qui permet d'accomplir son destin. Ainsi, le père d'Œdipe, Laïos, son grand père, Labdacos, se sont entravés dans des actes qui les ont fait chuter, les empêchant de continuer à marcher. De même, Œdipe en étant sourd lui-même à sa propre connaissance, celle qui lui permet de faire chuter le Sphinx, se perd dans les lieux précis qu'il voulait, qu'il devait éviter.

     Je reprendrai simplement ici la métaphore d'Alberto Giacometti de L'homme qui marche. C'est pour l'artiste suisse une sorte d'obsession sculpturale qu'il met en œuvre à partir de 1947 dans laquelle il tente de comprendre, comme il le fait pour la réflexion sur la tête - qu'est-ce qu'une tête ?- ce que c'est qu'un être humain. Il propose la série de ses sculptures de L'homme qui marche - est-ce bien cela ? car Alberto Giacometti a l'intelligence de poser des questions, pas d'y répondre. Je reprendrai ensuite une réflexion de Jean Genet, dans le documentaire réalisé par Antoine Bourseiller, sur, justement, l'impasse dans laquelle Arthur Rimbaud s'est rendu lorsqu'il se trouve en Arabie ; c'est dans ce désespoir intellectuel que se déclare son cancer de la jambe droite, l'empêchant définitivement d'accomplir son errance autrement que dans un abandon de soi. Jean Genet faisait remarquer qu'une sorte de prémonition, dans son écriture de voyant, lui avait fait écrire, dans " Le bateau ivre " :

" Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! "

Dans ce quatrain (le poème est composé en 1871),  tout apparaît comme si Arthur Rimbaud voyait déjà son propre état vingt ans plus tard - Jean Genet rappelle qu'en argot, la quille est la jambe - le faisant aller lui-même, bateau sans gouvernail, vers une mer le naufrageant.  Le voyant qu'il est devenu paie sa connaissance de sa propre souffrance : sa jambe, puis sa vie dans un cancer généralisé.

La figure d'Œdipe, dans la vie fulgurante d'Arthur Rimbaud, se répète dans l'impossibilité de celui qui est porteur d'une vérité indicible de continuer à marcher. Son propre corps ne le lui permet plus.

Je ne veux pas ici aller au-delà de ce simple parallèle entre la figure d'Œdipe, celle d'Arthur Rimbaud, et celle de Pier Paolo Pasolini. On m'objectera que PPP n'a pas eu de pathologie l'empêchant de marcher. Je n'ai en effet aucun élément permettant de l'affirmer, si ce n'est qu'en novembre 1975, alors qu'il pense en avoir fini avec le cinéma, ne lui permettant plus d'exprimer ce qu'il a encore à dire, le dernier chemin choisi vers la plage d'Ostie fut pour lui le parcours dont, très certainement il avait l'intuition qu'il serait le dernier, la ultima via. Dans un billet à venir, j'essaierai d'évoquer ce qui, dans son cinéma, en trace, film après film, les jalons.




J'avais préalablement inséré une vidéo de présentation du film Una vita violenta. Malheureusement, le compte Youtube qui y était associé a été clôturé. Je l'ai  donc remplacée par la fin du film dans laquelle meurt Tommaso, joué par Franco Citti. Le film, rappelons-le, sorti en 1962, est de Paolo Heusch et Brunello Rondi. (Note du 30août 2015)

9 commentaires:

Silvano a dit…

Toujours aussi passionnant.
Excellente idée : l'insertion de la bande-annonce de ce film dont Pasolini a signé le scénario. Il existe une édition DVD contenant "Una vita violenta" et "Ostia". À mon grand désarroi, je n'ai vu aucun de ces deux films. En voici une critique sur un site que je fréquente depuis longtemps : http://www.dvdclassik.com/critique/une-vie-violente-rondi-heusch

Silvano a dit…

Il y a un autre "Ostia" (rien à voir avec le film de Citti), un court métrage de Julian Cole où le cinéaste Derk Jarman est Pasolini.
On peut voir ce film de 25' (en anglais non sous-titré)ici :
Ostia
Je serais curieux d'avoir votre avis.

Celeos a dit…

Merci pour cette bonne adresse. L'analyse et la critique de " Una vita violenta " sont en effet très intéressantes. Il reste à retrouver le DVD.

Celeos a dit…

Merci de ce lien vers Ostia court-métrage intéressant.
Oserai-je dire que je n'y retrouve pas l'univers pasolinien ? On y serait plus proche de Fassbinder. C'est le monde glauque des garçons, sans doute plus réel en 1987 que de nos jours, et dans certains lieux spécifiques, dans le sentiment implicite que l'homosexualité appartient au monde des réprouvés, de la violence.
Le "Pasolini" du film joue davantage sur la distinction de milieu entre les garçons, prostitués, et les bourgeois encanaillés qui augmentent leur adrénaline en draguant dans un milieu qui n'est pas le leur, et où ils se mettent en danger. C'est un propos que je ne ressens pas pour l'histoire de Pasolini. Je reste partisan de l'assassinat politique, thèse qui semble absente du court métrage. Mais il faudrait développer...

Anonyme a dit…

Réflexions passionnantes!
"Se redresser la nécessité de l'être humain"

Merci
Marie

Anonyme a dit…

Au fait, Céléos, pourriez vous dire à votre robot que je ne suis pas un robot?
Marie

Celeos a dit…

Désolé, Marie, le système permettant la modération des commentaires n'est pas très convivial, je l'avoue...

Silvano a dit…

Oui, pour l'Ostia de Julian Cole. Je ne vous l'ai signalé que pour la petite histoire. Il passe à côté, en effet ; et j'ai la même conviction que vous concernant les mobiles du crime. Il me faudra revoir le film de Ferrara et, peut-être,reconsidérer mon premier jugement : ce court-métrage aura eu au moins ce mérite.

Celeos a dit…

J'attends avec impatience de voir de film d'Abel Ferrara.