Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

dimanche 26 avril 2015

Hal et Louia

Celeos est vénère, méchant, et de mauvaise foi.

On me pardonnera un mouvement d'humeur pour commencer cette semaine (eh oui, la semaine commence ordinairement par un jour de repos, c'est-y pas bath ? Vu que le samedi est le septième jour de la semaine et termine alors celle-ci... Mais revenons à notre propos) Je n'aime pas la télévision, vraiment pas. Mais je ne dédaigne pas regarder de temps en temps quelques variétés, parmi lesquelles l'émission The Voice que nos amis canadiens ont le bon goût d'appeler La Voix. Et que les Français dans leur médiocrité générale s'obstinent à prononcer Ze (Voice). En France, pays autocentré, on s'accommode très bien de l'à-peu-près puisque l'on prône préférentiellement l'entre-soi... Il n'est cependant pas difficile de placer la langue contre les dents pour former le phonème [ð] présent dans beaucoup de langues autres que l'anglais : le castillan, le grec, l'arabe, pour n'en citer que quelques unes. Enfin c'est ainsi.

The Voice, donc. Prenez un garçon fromager, venu de la France profonde. Décollez-lui légèrement les oreilles (c'est terriblement érotique, les oreilles). Rajoutez-lui une casquette façon Poulbot sur le crâne. Mettez-lui de grands yeux bruns et chauds comme un bon chien de garde qu'on emmène pisser le soir contre la poubelle des voisins. Donnez-lui un peu de coffre, et faites-le rêver que, puisqu'il a une belle gueule comparativement aux meules de Comté qu'on lui fait soulever pour l'affinage, ça suffit pour chanter. Chanter, pour la plupart des gens, c'est émettre des sons sur des fréquences différentes, pas plus. Et ça vous fait The Voice. Le jeune garçon fromager ne comprend pas l'anglais, et annonce qu'il va chanter la reprise de Jeff Buckley, Hallelujah, en fait la chanson de Leonard Cohen, mais qu'il ne connaît apparemment pas.

Le garçon fromager n'a pas de souffle, s'il a un peu de voix et de vibrato, et reprend régulièrement à contretemps sa respiration. J'imagine qu'avec une pareille oxygénation la tête doit lui tourner, au moins autant qu'à cause des sunlights présents sur la scène. Et notre garçon se lance dans Hallelujah avec le charisme d'une boîte de camembert usagée. J'enrage. Qui a vu et entendu Leonard Cohen, l'auteur, Jeff Buckley, qui a revisité la chanson et lui a donné une acuité sans égale, il faut au moins comprendre le sens du texte et saisir qu'il exprime les difficultés de communication entre deux êtres dont l'auteur prend Dieu - s'il existe - à témoin. Bien évidemment, le grand dadais n'en saisit rien. Il fait son beau (il a de très beaux yeux de vache - et j'aime beaucoup les vaches - qu'il a affinés également en regardant ses belles meules). "Ça s'est bien passé", dit-il à Nikos Pataugas (enfin un nom comme ça, je ne me rappelle pas). Pas de souffle, pas de rythme dans la manière de chanter, pas de nuance.

Puis le même benêt fait un duo avec avec Josh Groban (il faut bien meubler la soirée en attendant le résultat des votes des téléspectateurs). Du Magicien d'Oz, la chanson écrite pour Judy Garland Over the rainbow. Une catastrophe. Du yaourt. Visiblement, le pataud lourdaud ne comprend rien à ce qu'il essaie de chanter, et son regard paniqué en direction de Josh Groban en témoigne.

Cette fois j'en suis sûr : la France profonde des chaumières va bien voter pour lui, qui représente le triomphe de la gaucherie sublimée par la belle gueule.

 
Je ne me trompe pas : c'est bien sa belle gueule qui permet aux adolescents prépubères de se reconnaître en lui et de se persuader que ne rien foutre à l'école peut être compensé par un radio-crochet aussi débilitant que méprisant pour la chanson puisque celle-ci ne sert que de faire-valoir narcissique à des jeunes gens incultes prêts à se transformer en produits de consommation vite jetables. Le très réjoui Kenji Girac, vainqueur de l'émission-concours de l'an dernier fournit une belle preuve de néant culturel. Pauvres voix, qui pourraient servir de plus belles émotions !

Enfin, je préfère terminer sur une note plus optimiste : souhaitons au garçon fromager une longue carrière, par exemple comme celle de Mireille Mathieu, qui apporta à un précédent président de la République française son cordial soutien par une belle chanson digne d'elle et de lui. L'actuel président devrait se représenter en 2017 : le garçon fromager a le temps de se faire écrire une chanson sur les vertus du Flanby et du Comté réunis.

Pour faire passer ma mauvaise humeur, je vous offre Hallelujah par Rufus Wainwrignt, un vrai chanteur, et un garçon très sensible...

Que ce dimanche vous soit agréable et doux aux oreilles et aux yeux .






7 commentaires:

joseph a dit…

J'aurais bien une version de cette chanson à proposer, mais comme les droits ne m'appartiennent pas je ne peux que transmettre la profonde émotion que cela me procura en tant qu'instrumentiste au sein d'un ensemble à cordes accompagnant une formation de chanteurs d'Académie de musique ! et le frisson parcourut également le public présent si on prend en compte le nombre de mouchoirs discrètement déployés en dessous des paupières! La chanson , Over the rainbow figurait également au programme , ainsi que la B O du film "La liste de Schindler"
Souvenirs, souvenirs...

Silvano a dit…

Rufus W., un garçon très sensible ?
Un mythe s'effondre.

Celeos a dit…

Tout est certainement mieux que le désastre d'hier, Joseph !

Anonyme a dit…

Je ne connais cette émission que de nom mais vous trouve très sévère, Céléos.
La vie apprendra à ce jeune homme, probablement fort rudement, ce qu'il a à savoir pour grandir.
Je suis plutôt de celle qui pense qu'il nous faut les accompagner avec bienveillance...et espère de ne pas en avoir rajouter à votre colère...
Marie

Celeos a dit…

Non, Marie, je ne suis pas en colère que je réserve à d'autres causes. Juste un peu énervé car je crois que ce garçon vaut mieux que ce qu'il lui arrive.

Bibliothèque Gay a dit…

Pourquoi se faire du mal à regarder de telle chose ?
Ce même soir, avec mon ami, nous avons regardé "L'histoire d'Adèle H." Toujours magnifique et tragique (je ne l'avais pas vu depuis plus de vingt ans).
Jean-Marc

Celeos a dit…

Vous n'avez pas tort, Jean-Marc, et je consomme la télévision aussi peu que possible. Néanmoins, je reste sensible à quelques belles voix qui peuvent s'y exprimer, et on y entend parfois, cela arrive, des jeunes gens sincères et touchants qui me font écraser une larme. Mais j'ai aussi quelques DVD en souffrance !