Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

vendredi 23 octobre 2015

Erri de Luca relaxé


Quelle joie ! On ne peut qu'être satisfait du jugement rendu pour Erri de Luca. Il risquait huit mois de prison ferme dans le différend qui l'oppose à la société de construction du projet de ligne grande vitesse prévue dans la vallée de Susa. Vive l'Italie qui garde la tête froide dans ce jugement. Mais si Erri de Luca a bénéficié d'un large soutien international, tel n'a pas été le cas de militants libertaires dont les murs de Turin se faisaient l'écho, via Po, cet été, de la répression qui s’abat sur eux.

  Parlant de soutien international, j'ai été stupéfait, ce lundi matin dernier d'entendre la voix d'Erik Orsenna, chez l'excellent Augustin Trapenard, émettre des réserves quant à la liberté d'expression, et en particulier concernant Erri de Luca : il arguait que nous vivons dans des « sociétés d'extrême démocratie » (sic !) et que les décisions sont prises après de larges consultations d'élus, nécessitant beaucoup de temps pour que les projets émergent. Et dès lors, il faut limiter la liberté d'expression pour que la démocratie ne soit pas remise en cause.


Excuse-moi du peu, mon neveu ! Ton principe démocratique à la con, il amène Hitler au pouvoir en 1933, et il a amené Ménard à Béziers avec 36 % des voix des 33% des suffrages exprimés, ce qui diminue encore la proportion de la population totale qui n'en peut plus, et ne s'exprime plus, tant c'est pareil dans l'insupportable au quotidien.


 Pour comprendre comment de telles inepties peuvent être proférées sur les ondes publiques, il faut se rappeler que derrière l'écrivain bonne pâte, sympathique avec sa bonne bouille d'épagneul, il y a eu celui qui écrivait les discours de Mitterrand. Jusque là rien à redire, si ça a permis à l'homme à la francisque de mieux parler le français que Sarkozy ou Hollande. Mais Orsenna, nom de plume, est également de cette élite méprisante au service des lobbies et autres grands groupes financiers et du béton réunis qui appartiennent à cette frange de coteries élitistes, allez, disons-le, ceux qu’Emmanuel Todd appelle les catholiques zombies ; non qu’ils soient religieux, mais ils sont intellectuellement les héritiers de ceux qui se satisfont de la différenciation sociale et de l’inégalitarisme institutionnalisé.

 Rappelons-nous une phrase de l’insupportable Charasse, l’Auvergnat aux bretelles ministre de Mitterrand : « Que voulez-vous qu’on fasse pour eux ? — les RMIstes — ils ne votent pas pour nous ! »  Et cette attitude a conduit ceux qui se sentent exclus de la politique néolibérale à voter pour la frange extrême de la démagogie.



Autre particularité d’Erik Orsenna : quand on est dans une catégorie culturelle, on s’attend à ce qu’une certaine solidarité s’opère : un écrivain, dans la mesure où il s’oppose généralement au pouvoir en place, reste solidaire des autres écrivains qui défendent la liberté de pensée ; rappelons-nous également Salman Rushdie avec Les versets sataniques que personne n’a vraiment lu tant on aurait aimé qu’ils fussent vraiment sataniques ; encore plus loin  dans le passé, le bien réac Soljenitsyne — Une journée d’Ivan Denissovitch — qui ne m’a jamais passionné comme écrivain, etc. et très récemment la Biélorusse Svetlana Aleksievitch, prix Nobel de littérature pour cette année 2015, censurée dans son pays pour avoir raconté que la guerre est moche.



Donc, on s’attendrait que Erik Orsenna apporte un soutien franc et solide à Erri de Luca. Au moins au nom des événements du 7 janvier à Charlie Hebdo. Eh bien non : le soutien à Erri de Luca d’Erik Orsenna n’est pas acquis. Et puis d’abord, Erri de Luca, il a été d’extrême gauche, à Lotta continua, et ça pour un pseudo socialiste reconverti au Conseil d’Etat, c’est impardonnable.


 Il y a deux types d’écrivains : ceux qui écrivent avec leurs tripes, toute leur sensibilité, parce que tout ça est plus fort qu’eux, parce que les claques qu’ils ont reçues sont sublimées en mots, et redeviennent des émotions qu’on ne peut maîtriser ; et puis il y a les premiers de la classe, ceux qui ont toujours su briller pour faire plaisir à papa et maman, ceux dont les rédactions étaient des modèles que le maître lisait à la classe entière pour montrer l’exemple que constitue l’élite.  Ceux-là ont suivi le cursus honorum des  grands serviteurs de l’État et ont choisi un camp qui n’est pas le mien, qui n’est pas celui des écrivains dont je citais les noms il y a quelques jours.



Quoi d’étonnant si on les retrouve à l’Académie française, les d’Ormesson, les Finkielkraut, les Giscard d’Estaing et autres Xavier Darcos, dont on cherche vainement ce qu’ils ont pu apporter à la littérature ? D’autres sont moins contestables dans leur statut d’écrivain : on achète, paraît-il, leurs livres, mais leur écriture ne bouleversera jamais personne. C’est le cas d’Erik Orsenna. Pour autant il y a eu des gens très honorables à l’Académie française : Claude Lévi-Strauss, Marguerite Yourcenar. Et après ? ils n’y avaient pas leur place, trop marginaux pour cette maison de guignols enbicornés et dont le sabre rajoute encore au folklore suranné.



Quant à Erik Orsenna, qu’il reste à l’Académie française, c’est tout ce qu’il mérite, dans cette institution  dont le pitoyable le dispute au ridicule. La France a toujours envié l’Égypte : elle fabrique ses propres momies.

3 commentaires:

joseph a dit…

finalement "l'aile ou la cuisse" avait porté le fer là où cela peut faire mal en remettant la pendule à l'heure!

Sharon a dit…

Pour Erik Orsenna, un autre de ses défauts (à mes yeux d'enseignante) est de voir ses oeuvres hautement recommandées par l'éducation nationale. Heureusement, mes élèves ont (déjà) un bon sens critique : ils n'ont pas apprécié le texte que je leur ai fait étudier. Je n'ai pas poursuivi l'expérience.

Celeos a dit…

Bienvenue, Sharon, dans mes commentaires !
Il y aurait quelques coteries, à l’Éducation nationale, que ça ne m'étonnerait qu'à moitié ! Et je ne parle pas des François Bégaudeau et autres anciens (?) ensseignants peu fachés de quitter la maison pour en parler de manière plus lucrative !