Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mercredi 4 novembre 2015

Mardi d’un été léger de novembre

Ai-je encore à faire avec Athènes ? N’ai-je pas suffisamment parcouru toutes les rues sans en avoir acquis toutes les senteurs, avoir rencontré toutes les gents qui ne sont ni mieux ni moins bien disposées qu’ailleurs ? Le soleil a fait sortir un peu plus garçons et filles sur les terrasses. Les mendiants continuent toutefois à quémander, mais comme je les sens discrets, ayant acquis la conscience de cette fatalité, et que leur survie ne dépend plus que d’un dieu qui les prendra en pitié ou les délaissera sans autre forme de procès ! Mais les mendiants sont moins offensifs que les serveurs des innombrables restaurants à touristes, qui n’hésitent jamais à interpeller. Sans doute sont-ils devenus de bons sociographes qui savent déceler l’hésitation du touriste en quête d’un morceau à manger. Mais en mauvais commerçants qui ne savent pas convaincre, leur insistance ne leur indique pas qu’elle fait fuir le client : celui-là n’a besoin que d’un peu de temps pour se décider. Le refus du client est un affront qui leur renvoie leur adresse insuffisante.

Les rues ne sont décidément plus qu’une vaste cantine où toutes les pitas, gyros et autres greek fast food ne donnent aucune envie. La cuisine grecque que l’on aime est une cuisine d’été, adaptée à une activité où la chaleur domine, et où l’on n’a pas à devoir digérer pendant le restant de la journée. C’est à croire que l’été n’en finit pas de toutes ces grillades et autres pâtes feuilletées qui manquent de finesse, et où quelques épices font illusion de saveur quand tout n’est plus qu’industriel, même dans les innombrables lieux où l’on peut manger sans que jamais la journée ne soit interrompue par un autre moment consacré à une activité intellectuelle.

Quoique, si les journaux ne sont guère lus, il faut sans doute être rassuré de nombreuses librairies. Lit-on vraiment en Grèce ? Sans doute autant qu’en France, ce qui est peu. Encore faut-il y mettre des romans davantage que des sciences humaines : entre la nécessité de rêver qu’imposent les temps actuels, et la réalité insupportable à laquelle tous sont confrontés, le choix reste vite fait. Mais n’est-ce pas également une activité intellectuelle ou culturelle que de rester de longs moments à discuter entre amis assis à une table ? De quoi parlent-ils ? Je ne sais : il me faudrait être davantage attentif et me faire indiscret, ce qui en Grèce, pas plus que dans le reste de la Méditerranée, n’est pas réellement une difficulté. Il m’arrive parfois de prêter l’oreille. On parle de travail, des difficultés de relations que les contraintes de salaires devenus très bas imposent. Aussi, le peu que l’on gagne est dépensé rapidement : le loyer, les déplacements. Le coût de la nourriture est devenu très bas ; on trouve toute sorte de lieux pour se nourrir, et les magasins eux-mêmes compriment les prix s’ils veulent conserver une clientèle, partant du principe qu’une marge extrêmement faible vaut mieux que pas de marge du tout. On se rattrape sur le temps de travail passé à attendre le client qui n’est pas rémunéré, puisque, après tout, avoir un commerce est également une façon de vivre, choisie ou non.

Dans la rue, dans le bruit, car les autos, les scooters passent incessamment, les gens parlent haut, pour exister, sans doute, plus fort que le monde environnant qui s’impose avec toute sa prégnance, mais un monde auquel on appartient, presque clos, comme un théâtre où chacun joue le même rôle. Le petit monde d’Athènes est connecté sur Iphone, et vit dans cette paranoïa urbaine comme si Athènes n’était qu’une parcelle du vaste monde qui ne connaît pas de problèmes économiques, monétaires, ou de vie, tout simplement. Car si le monde pauvre est là, tangible, le monde des classes plus aisées est encore plus ostentatoire. Je m’étonne de voir autant de magasins de luxe, autant de boutiques de fringues, autant de cafés-lounges où la jeunesse peut passer de longues heures à parler, tout comme dans les cafés des grandes villes en France, tout comme à Montpellier, à quoi je trouve quelques comparaisons avec Athènes, l’histoire et les monuments mis à part. Mais la vie à Athènes paraît plus frénétique, contredisant l’idée préconçue d’une sorte d’indolence méditerranéenne ou orientale. C’est en fait le mode de penser l’instant qui reste prégnant dans la culture grecque ou orientale.  Les penseurs français ont longtemps cru que le siècle de Périclès était un modèle occidental dans une opposition à la culture orientale. C’est une erreur. La rapidité avec laquelle Périclès a fait réaliser les instants d’architectures d’Athènes, sa modernisation, appartient justement à cette idée d’une frénésie de l’instant toute orientale.

Au retour de mon périple dans les rues, où j’ai frôlé Kolonaki, l’un des quartiers branchés les plus détestables à mes yeux, où la gentry se montre comme si le monde extérieur restait invisible, je suis redescendu par les rues basses de Plaka et Monastiraki. Reprenant la rue Adrianou, sur la place qui permet le départ de la rue, un mendiant est là posé au sol, exhibant les moignons de ses bras, le bras gauche plus court que le bras droit dont l’avant-bras est en partie conservé. Son visage est également très abîmé, comme rescapé d’un terrible accident dont il donne le monde à témoin.

Ce mardi le monde d’Athènes a le double visage de cette humanité, de la façade futile et de la déchéance qui n’attend plus beaucoup de la vie rêvée. Encore un coup de ces salopards de dieux cyniques et vengeurs.

4 commentaires:

joseph a dit…

Achille aurait il encore offensé les dieux? (je rêve de Brad Pitt là!)

Celeos a dit…

Les dieux sont tellement susceptibles ! Vous avez mieux que Brad Pitt : c'est ce soir !

arthur a dit…

J'aurais bien aimé te suivre un peu plus, au moins en pensée, dans ton périple athénien. MAis j'étais trop occupé ces derniers temps. Tu as dû déjà rentré. J'aime beaucoup ton interprétation du mode de "penser l'instant" en Grèce. C'est très vrai. On est ancré dans le présent, en dépit de ces siècles qui nous regardent et de ce futur qui menace. Athènes et ses contradictions, Athènes ville folle et trépidante où se cotoie le meilleur et le pire. Mais Athenes qui vit au final, tout en prenant le temps du présent. Je l'adore , en dépit de sa cohue, de sa nouvelle misère qui fait mal, je l'adore grâce à la vie qu'on ressent partout. Tu me raconteras alors, j'espère bientôt?

Celeos a dit…

Βεβαίως, Αρθούρο!