Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

vendredi 11 mars 2016

Jeff Buckley - Toi & moi


On ne me fera pas croire qu'un garçon en pleine santé qui va se baigner tout habillé dans le Mississipi, n'a pas, dans la tête,  quelque chose qui l'entraîne dans une limite à dépasser ou ne pas dépasser. Cette fois-là, la limite fut dépassée. Comme il fut touchant, Jeff, plus convaincant dans l'interprétation que dans la création qu'il n'eut pas le temps d'explorer, parti trop jeune ! Comme il sut incarner Hallelujah, de Leonard Cohen, chanson sur l'impossibilité de communiquer entre deux êtres, dont Leonard prend le dieu de sa torah à témoin !
« On n'est pas artiste sans qu'un grand malheur s'en soit mêlé », écrivait Jean à propos d'Abdallah dans Le Funambule. Je rajoute qu'on n'est pas pédé sans que l'image d'un père soit un jour tombée de la route, nous laissant définitivement abandonnés. Je ne sais pas si Jeff avait ce goût pour les garçons, à travers lequel on recherche son double, et dans ce double la nostalgie d'une tendresse paternelle qu'on n'a jamais eue. Tim Buckley était un père-enfant sans doute lui-même sans grande capacité à savoir sortir de ses propres affres... Il part définitivement dans la recherche d'un paradis artificiel lorsque Jeff n'a pas dix ans, le laissant dans cet abandon définitif.
Il paraît que certains ont l'homosexualité heureuse, et aspirent à fonder des familles. J'entends un témoignage ce matin sur les ondes radiophoniques. Il doit s'agir d'un autre monde, où les deux pères projettent, avec la tranquillité d'une planification d'entreprise, la manière dont les enfants, une fille et un garçon, comme toute bonne famille trad et catho, pourront envisager l'avenir heureux, coucounés tous quatre à l'abri du monde extérieur.
Il y a alors deux grandes familles dans ce monde, celle du bonheur et des béatitudes infinies, et l'autre, dont Jeff n'a jamais cessé dans le pur filet de sa voix, de dire qu'il était fait de toutes ses absences, de toutes ces attentes jamais rassasiées.


Le nouveau disque des reprises et des derniers rares enregistrements conservés s'appelle You & I.
A écouter, bien sûr, et à lire l'article des Inrocks qui en parle. C'est ici :clic

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Vos mots me touchent doucement, Céléos.
On sait tous qu' une famille de bonheur et de béatitudes peut tomber dans l'absence et les attentes infinies.
La vie est toujours en mouvement.
On peut alors la penser dans l'autre sens, de l'absence au bonheur.
Je vous le souhaite de tout coeur.
Marie

Celeos a dit…

Oui, fort heureusement, la vie est mouvement. Et on peut penser que le bonheur est un faux problème, infiniment compensé par la force de son esprit. S'il en revient quelques étincelles et un peu de lucidité, c'est une satisfaction sans prix.

Silvano a dit…

Oui. Concernant votre conclusion, ça me met également en colère : j'ai toujours considéré que l'homosexualité était (aussi) révolutionnaire.

joseph a dit…

De Jeff Buckley on pourrait dire que comme la grande Edith Piaf, il nous aurait ému en chantant l'annuaire téléphonique! en ce qui concerne les familles, quel que soit le modèle, ce n'est jamais gage de bonheur tant la vie se réserve le lot de perturbations et batons dans les roues dont la première source est souvent soi-même

Celeos a dit…

Nous partageons cet aspect, Silvano.
Ce n'est pas que la famille soit haïssable par nature, Joseph, mais on a toujours l'impression qu'il y a, quelque part, "tromperie sur la marchandise", et qu'elle ne donne jamais ce qu'on serait en droit d'attendre d'elle.

Anonyme a dit…

Je partage totalement l'opinion de Silvano et si je peux me permettre d'élargir le propos,ce qui est révolutionnaire c'est d'être soi même alors qu'on veut à tout prix nous faire entrer dans de pauvres cases étroites ; nous sommes beaucoup trop amples pour cela.
Tout autre chose, j'ignorai que le mot enjoyant existait, c'est très joli et gai ; je l'adopte.
Marie

Celeos a dit…

Oui, Marie, être dans la sincérité de ce que l'on est et ne pas croire à ce qu'un système aimerait qu'on soit. Non, ce n'est pas toujours facile et il faut apprendre à nager à contre courant. Pas forcément dans le Mississipi...
Enjoyer est un anglicisme. Je ne sais pas s'il a un équivalent français...