Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

samedi 11 juin 2016

Nulle part


J'ai encore une fois l'impression de vivre un malentendu : tenir un blog qui a la prétention d'aimer - entre autres - les garçons m'obligerait à ne rester que dans ce registre. Ainsi, il ne serait pas de bon ton d'exprimer ses opinions sur le monde. Ce n'est sans doute pas étonnant : la manière autocentrée, hypernarcissique du monde gay a tendance à exclure ce qui n'appartient pas à ce monde qui m'apparaît, hélas, bien immature. Ainsi, il ne faudrait pas évoquer le problème majeur que constitue le bouleversement que vivent les populations déracinées, la situation tragique de la Grèce. Un lecteur, pour qui j'ai par ailleurs beaucoup de sympathie, me dit que le côté contestataire ne me convient pas. Grands dieux de l'Olympe ! Pourquoi faut-il qu'à ce point le monde gay ait perdu tout sens de la combativité quand, par ailleurs, le monde archaïque, religieux, reprend du poil de la bête et fait en sorte que les crispations reviennent, qu'à nouveau les homosexuels aient à se planquer ? Goût de la clandestinité ? Je ne crois pas. Seulement une habitude routinière à ne rester que dans l'entre-soi, à ne pas comprendre que le combat légitime des uns contre la domination est également celui des autres. La société actuelle est ainsi terriblement segmentée, chacun n'appartenant qu'à un segment précis produit par la société de consommation, afin de correspondre à l'image acceptable que l'on souhaite présenter. Alors on imagine bien que le côté revendicatif a depuis longtemps déserté cette sphère du monde gay.


Je ne vais pas davantage développer sur ce point aujourd'hui. Le même sentiment m'avait saisi il y a quelques mois aux alentours de Noël dernier. J'avais alors exprimé mon impression d'une rhinocérisation de la la société, faisant allusion à la pièce d'Eugène Ionesco, Le rhinocéros, quand, à la suite de l'attentat du Bataclan, la société française ressortait ses drapeaux imbéciles et ses réactions de crispation nationaliste. L'attitude s'est un peu estompée, mais les drapeaux restent, signifiant, je le répète, une expression d'exclusion de l'autre et non d'intégration (c'est le rôle de principe des drapeaux par ailleurs que d'exclure). Mais face à ces pertes de repères de notre société, je ne vois pas le monde gay exprimer un sentiment de maturité qui se traduirait par des formes de solidarité, bien au contraire : le repli sur soi, l'autosatisfaction de la narration des moments de drague me semblent de nature à suffire à cet effet miroir que l'on espère, qui nourrit le quotidien d'un garçon gay comme l'aboutissement d'une sorte de réalisation satisfaite de soi, la répétition de rituels dans des lieux identifiés permettant alors de trouver les repères que l'on a perdus dans d'autres lieux sociaux.

Je ne vise personne en particulier : je lis suffisamment de blogs, lorsque mon emploi du temps me le permet, pour retrouver toujours ces récurrences, et quelque part, une manière d'être très consumériste.

Je ferai un jour un tour des blogs qui m'interrogent. Sans doute, sans vouloir émettre quelque jugement que ce soit, ce qui n'est d'aucune espèce d'utilité, y exprimerai-je une certaine déception : j'ai maintenant assez d'âge pour regarder avec le sens de la perspective en quoi le monde gay a gagné en autonomie et en quoi il a perdu en conscience de soi d'un groupe minorisé. On ne me refera pas : aimant les garçons, je reste d'abord anthropologue, et critique de toute pratique humaine.

Véhèmes s'en trouve infléchi et va évoluer. Évoluer au sens de changer. Je trouvais déjà futile de présenter de belles photos de garçons. La seule raison pour laquelle j'ai continué à le faire était que toutes ces photos participaient pour moi de la beauté du monde. Le corollaire étant que la fréquentation du blog s'en trouvait améliorée. C'est effectivement un plaisir de constater que des lecteurs passent consulter quelques pages depuis de nombreux coins du monde parfois improbables. Sont-ils tous francophones ? Je ne sais pas. J'ai parfois publié en bilingue anglais-français, une fois en espéranto grâce à mon ami blogueur Ĵeromo Tanguy. Pour autant les commentaires qui sont renvoyés ne me paraissent par forcément signifiants. N'être qu'une publication de belles photos disponibles sur d'autres sites ne me satisfait pas. J'essaie, par un titre, une phrase d'apporter un complément de contexte qui inscrit la photo dans une histoire, une anecdote. Tout cela me semble un jeu bien vain. Je vais donc arrêter ce jeu : Véhèmes sera encore davantage un blog d'humeurs, et si pour mon propre plaisir, il arrive qu'une photographie me semble de nature à apporter une émotion et la faire partager, je le ferai certainement.

Pour l'heure je reviens vers cette préoccupation qui semble déplaire à certains de mes lecteurs : je redis que la plus grande solidarité doit s'exercer envers ceux qui sont les victimes de géostratégies criminelles. 

Voici le lien du documentaire réalisé par la grande Yolande Moreau :

 Nulle part en France. Il dure 32 minutes.

Cliquez ici.

12 commentaires:

estèf a dit…

Toi seul peut définir ta ligne et il faut qu'elle te plaise avant tout. Pourquoi donner autant de poids aux commentaires qui ne représentent sans doute qu'un petit échantillon de tes lecteurs. Ce serait comme donner le pouvoir à une minorité agissante. Évidemment on peut être sensible à l'aigreur de tel ou tel, comme à la tienne d'ailleurs vu côté lecteur, n'est-ce d'ailleurs pas plus sur la forme que sur le fond que portait l'avis sur le côté constestaire qui t'irait mal !?
Quant à la solidarité, même si je n'en fais pas un cheval-de-bataille-sur-blog, préférant agir par d'autres voies sur ce sujet, je partage ton point de vue.

Celeos a dit…

Quelle que soit ma ligne, estèf, elle me convient puisque c'est celle que je choisis. Je ne donne pas "tant" de poids aux commentaires, et tu sais par ailleurs que j'aime les minorités agissantes tant qu'elles ne sont pas d'extrême droite. Mais je suis un petit être sensible... Nan, je déconne ! J'ai voulu essayer de marier deux choses qui me sont consubtantielles, et qui semble-t-il, ont du mal à fonctionner ensemble. Donc j'assume le choix qui me semble exprimer le mieux ce que je suis. Peut-être suis-je queer chez les queer ?...

Silvano a dit…

Ah, Celeos : en proie aux affres du blogueur, vous aussi ?
Qui nous lit ? Qui ne fait que passer ? Qui commente (et, le plus souvent, s'en abstient pour de multiples raisons, nos plus jeunes lecteurs notamment) ?
Si on s'en fichait ?
Continuez à faire état de vos indignations, car la capacité à s'indigner toujours est un signe de jeunesse.
Dans ma boutique, il m'arrive de pousser des coups de gueule ; quant à mes beaux garçons,ils sont là pour la déco, parce qu'ils m'ont plu ; un partage, sans plus.
En ce qui me concerne, le bloguage (bloguisme ? bloguation ?) m'a donné envie d'écrire. De plus en plus. Rien que pour ça, c'est une bénédiction, mon frère !
Enfin, pour vous agacer un peu, le drapeau bleu-blanc-rouge (pourquoi a-t-on gardé le blanc, d'ailleurs ?)ne suscite pas la même ire chez moi (même si, un jour, votre courroux à mon égard était justifié) s'il reste le symbole de la Révolution française, un truc qui ne fut pas totalement inutile. Mais l'homme se plaît à dévoyer les grandes idées.

Et oui, faites-nous part de vos humeurs. Qu'on les partage un peu, ou pleinement, ou pas du tout, nous les lisons toujours avec intérêt parce qu'elles alimentent la réflexion de qui veut s'accorder le privilège de faire fonctionner sa matière grise. Et son cœur.

Anonyme a dit…

je suis très touché par votre billet. Trêve de futilité! (oui, mais ne me privez pas du doux choc de photos de beaux mecs...) Bénévole dans un centre d'accueil du centre de la France, j'ai connu là pendant moins de 6 mois des rencontres parmi les plus belles de ma vie. Et le sentiment profond d'être utile à la vie de quelques-uns. Quand, les Français, habitants de ce magnifique pays se referment sur leur quant-à-soi. Avec plusieurs bénévoles, nous revoyons certains d'entre eux Soudanais, Afghanis... en voie d'intégration.Simplicité et profonde affection.Ce ne fut pas bien compliqué de partager une tablette de chocolat et de leur apprendre "au clair de la lune" . Mais quelle intensité, quelle authenticité!!!

Celeos a dit…

Oui, Silvano, conservons nos plumes, et qu'elles restent acérées et de la plus belle encre, de nos amours et de nos colères. Vous savez que sans Tombe Victor ! Véhèmes n'aurait pas vu le jour. Nous saurons rester jeunes, et si nous ne pouvons changer le monde, faisons en sorte qu'au moins le monde ne nous change pas !

Merci, cher Anonyme, de votre témoignage. Vous montrez que s'ouvrir aux autres n'est qu'une question de disposition d'esprit, ce qui ne devrait pas trop poser de problèmes pour le monde gay... C'est promis, il y aura encore des beaux mecs... parfois !

Anonyme a dit…

Le sens principal de mes commentaires était de vous dire mon affection.
J'avais bien conscience qu'ils étaient peu signifiants, de peu de portée, sans grande culture, face à la votre.
Je souhaitais simplement y apporter ce que j'étais en respect (admiratif) de ce que vous offiez à vos lecteurs.
Comme un merci, disons.
Soyez tendre, Céléos ou en colère ou en révolte.
Soyez les 1000 facettes virevoltantes d'un être humain.

Notre monde est si violent que, pour ma part, je refuse d'y ajouter la mienne.
Je vous redis mon amitié.
Marie

Celeos a dit…

Oh non, Marie ! Ce que vous me dites me choque au sens où si ce que j'ai écrit a pour effet de vous faire dire que vos commentaires sont peu signifiants, c'est que j'ai raté quelque chose dans dans mon blog. Je ne cherche pas à faire étalage de quoi que ce soit, mais simplement à faire partager mes émotions. Si je n'y arrive pas, tant pis pour moi. Si j'y arrive, tant mieux, et ce que je sollicite est avant tout l'intelligence du cœur, que je sais immense chez vous, et très grande chez beaucoup de mes lecteurs. Mais communiquer est toujours un art difficile dans un monde de malentendus permanents. Jamais, me semble-t-il, dans un monde hypercommunicant, il n'a été aussi difficile de trouver ses marques. J'essaie de définir les miennes et je crois y retrouver celles et ceux que j'aime.
Vous avez également toute mon amitié, Marie.

joseph a dit…

L'image aide parfois à exprimer ce que les mots ne parviennent qu'à esquisser ,la sensibilité de chacun pouvant alors décliner la pensée de l'auteur ; et les commentaires en sont le reflet, mais comme tout ce qui passe par un miroir , nécessitant un redressement ! ainsi ce billet sur l'émoi du jeune garçon dans le train a pu faire croire, via mon commentaire , à tout autre chose que ce que je voulais exprimer , ayant fait mien depuis que j'eus la chance de le découvrir dans les années collège, ce poème de Keats "A thing of beauty is a joy for ever"

joseph a dit…

Votre billet de ce jour me ramène des années en arrière et à un titre du groupe musical anglais, "Vandergraaf Generator" "The least we can do is wave to each other" .

Celeos a dit…

J'ai dû rater ce groupe, Joseph, mais je vais essayer de me rattraper !
John Keats, bien sûr...

arthur a dit…

Ecris comme tu le sens, et reste indifférents aux commentaires...continue ta route...Ces derniers temps, on a beaucoup cité Cocteau , que Dolan avait repris, une phrase qui dit qu'il faut cultiver ce qui fait notre différence, la cultiver au maximum (c'est pas exactement ça, mais je ne l'ai pas noté, il est tard, et j'ai la flemme d'aller la rechercher). Donc, écris, ecris...ca te fait du bien (moi, ca me fait du bien d'écrire), ca touche des lecteurs , en bien ou en mal...mais si ca fait réagir, c'est que tu as vu juste. Ne sois pas sensible à la faiblesse ou maladresse des commentaires, tu as assez d'expériences pour savoir qu'on ne peut plaire à tout le monde et c'est tant mieux!
Je partage les commentaires de estef et Silvano.

Celeos a dit…

Arthur, j'ai toujours écrit comme je le souhaitais ;mais- oserais-je l'avouer ?- les commentaires sont parfois des prétextes pour prendre encore davantage de liberté !