Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mardi 1 novembre 2016

La forma della città

La ville comme forme idéale. Existe-t-elle autrement que dans le regard de celui qui pense la voir ? Que pourrait-être la cité ? Une Jérusalem céleste, dont les différents éléments auraient été pensés par un patriarche bienveillant ? Un bidonville, à l'image de ceux qui se sont formés dans les années les plus industrielles de l'Europe, de ceux qui continuent d'exister encore davantage aujourd'hui, sous les ponts, dans les sous-bois, accueillant indistinctement les délaissés qui sont dépourvus du toit acceptable dans la cité du monarque bienveillant ?
La ville comme allégorie de la vie en société, quand cette même société est saturée de toute chose, jusqu'à ses habitants eux-mêmes qui ne sont pas beaucoup plus que des meutes grouillantes dans l'incapacité de recevoir ceux qui n'ont plus de cité. Le joli mot de jungle pour ne pas utiliser celui de ville... N'est-ce pas une étrange dérision que d'assister à un démantèlement d'une ville que l'on refuse à des étrangers que l'on refuse également ? Il fut un temps où les étrangers n'étaient acceptables que dans des camps fermés de barbelés, séparant d'un côté les femmes et les enfants, de l'autre les hommes. Contagion, contamination redoutée, provoquée en entassant sur le sable ceux qui n'avaient déjà plus de nom.
Les cités sont devenues les étouffoirs les plus opaques, trous noirs dont aucun interstice ne peut laisser s'échapper la moindre parcelle de lumière.
Cités obscures, en effet.

Cité, si fragile, de ces murs effondrés d'Amatrice, de Norcia : les derniers pas de l'homme se dirigent sur le sable pour y achever son parcours.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Votre article sur la ville est fort intéressant, les rapprochements que vous faites, entre autres, à propos de « la jungle » de Calais, sont juste. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Luc Dietrich en vous lisant. Il y a longtemps que j’ai lu ses livres ; histoire de me rafraichir la mémoire je suis allé voir ce qu’en disait Wikipédia. J’ai retrouvé une anecdote que j’avais oublié : À propos de la rencontre de Dietrich avec Lanza del Vasto, son futur mentor, où Lanza del Vasto : « assis sur un même banc au parc Monceau à Paris, demande soudainement à Dietrich : « Êtes-vous bon comme ce pain ? », on pourrait aussi, je crois, intitulé votre billet par cette question : Ville, êtes-vous bonne comme le pain ?
La ville est une ogresse, lorsqu’elle vous a engloutie, elle nourrit indifféremment son monde. J’ai « émigré » de la campagne vers la ville, parce que – c’est un paradoxe – je n’étais plus assez riche pour y demeurer. La ville me donne presque tout ce dont j’ai besoin, même si, souvent, il ne s’agit que de miettes ; bien que, malgré tout, j’en paie le prix, mais bon !
Vous terminez votre article en disant que les cités sont comme des « étouffoirs », qui ne laisse échapper : « la moindre parcelle de lumière », dit comme ça c’est joli, sur le plan littéraire. La ville, c’est aussi un « apprentissage » qui, quoique fort différent de la vie à la campagne, donne des plaisirs, prodigue quelques lumières ; sur la forme vous avez raison, mais on pourrait en discuter longtemps.
Pierre, habitant une petite ville drômoise.
Je suis désolé de devoir enregistrer ce commentaire sous la forme : « anonyme » ; l’informatique ne me laissant pas le choix, de supprimer ou de laisser, le lien qui conduit vers mon blogue, et qui s’affiche automatiquement lorsque j’écris une note. Car je ne souhaite aucune publicité, ici comme ailleurs, merci.

Celeos a dit…

Merci de votre commentaire, Pierre. En fait je pensais davantage à Henri Lefèbvre qui n'oppose pas ville et campagne mais voit l'ensemble comme un continuum exacerbant certaines fonctions. En l'occurrence les possibilités de choix qu'offre la ville sont obérées par les fonctions précises de contrôle social qu'elle exerce en même temps. C'est parce que ce contrôle social ne s'exerçait plus que l'Etat à fait le choix de la destruction de la "jungle".

Anonyme a dit…

Bonsoir,
Merci pour les précisions, fort utiles ma foi. Pour le coup c’est moi qui suis trop littéraire. Je ne me suis pas rendu dans la jungle, je n’en connais que ce qu’en dit la presse, et votre éclairage est bienvenu.
La jungle, j’y ai vu un phénomène intéressant, où un début d’organisation s’est fait jour, qui sans doute a reproduit en son sein les schémas habituels de nos sociétés, mais cette ville était aussi un port résolument tourné vers le large, il va sans dire que c’est inacceptable pour un État ; une sorte de – concurrence déloyale – si on peut employer cette expression.
Je garde votre article dans un dossier. Je "passe" sur votre site de temps à autre, j’ai profité de cet article, pour marquer le coup. Il est agréable, j’écris agréable par euphémisme, de lire des articles intéressants, où l’on sent un effort d’écriture, un blogue bien "torché", où l’on voit que son auteur est présent, voilà, c’est tout !
Pierre, toujours anonyme, tant pis.
À propos d’Henri Lefèbvre, que vous nommez, vous faites certainement allusion à son livre : "Le droit à la ville", je n’ai pas lu cet ouvrage, par contre j’ai trouvé sur internet une analyse, bien faite, de son texte.