Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

jeudi 30 mars 2017

Rimb et les autres

Fétichisme...

Quand on est fan de... on se précipite sur des traces, on parcourt les chemins, on honore les tombes. A partir de quelle attitude la révérence à une personne devient-elle si prégnante, pathologique, au point de vouloir s'approprier un objet qui contiendrait une parcelle de l'esprit ou de l'âme d'une personne remarquable ? Les saints populaires étant les premiers à faire l'objet de ce type de dévotion. Quand j'étais enfant, il y avait dans une boîte à cartes postales et images diverses une carte consacrée à sainte Thérèse de Lisieux la représentant en habit religieux, et, tout au bas, un petit carré d'étoffe maintenu sur la carte avec un petit croisillon de fil rouge. Au dessous de ce petit carré d'étoffe, la légende disait : étoffe ayant touché la sainte.

Je me suis toujours méfié de ces objets qui auraient pour les esprits trop naïfs le pouvoir de capter une part de ce que pourrait être une personne. On pourrait faire de belles thèses sur ce sujet. On sait que le propre des collectionneurs est, justement, de ne pas pouvoir venir à bout d'un certain nombre d'objets qui contiendraient des parcelles d'une personne et de ce qu'elle a été et touché, d'une civilisation. C'est un peu ainsi qu'on a fait des musées. Peut-on croire que rassembler l'intégralité des représentations de la passion du Christ pourrait donner autre chose qu'une idée de ce qu'elle a réellement été ?

Ce n'est pas de manière fortuite que j'utilise ce terme de passion. Il faut en effet qu'il y ait une souffrance que l'on est amené à supporter pour que le mal d'être que n'importe quelle personne éprouve à un instant de sa vie puisse trouver une correspondance dans ce qu'a écrit un auteur.

En l'occurrence, deux informations de l'actualité viennent illustrer cette notion de fétichisme, que l'ethnologue Arnold Van Gennep avait théorisée sous le nom de contamination : il suffirait en effet que le simple toucher d'un objet permette de transmettre les vertus que possédait une personne à qui l'on reconnaît une transcendance, ayant réussi à atteindre au sacré. Car c'est bien là que se situe la chose : trouver un sens à une vie dont les plaisirs sont sus périssables dès les premiers instants. La religion n'a pas d'autres justifications.

Ce que le poète Arthur Rimbaud avait traduit dans un verbe lumineux participait de ce même élan, dans la lucidité de son jeune âge : aller au-delà des sens apparents, arriver à pénétrer le cœur même de l'image devait permettre de comprendre les raisons de l'être et de ses sens. Son ami de cœur et de cul, Paul Verlaine, avait lui bien compris à quel point il s'était fourvoyé dans les normes sociales, ce que lui renvoyait en image terrible l'attitude même d'Arthur Rimbaud, implacable dans sa jeunesse exigeante, capricieuse, immorale.
C'est cette attitude du choix de la lumière qui est révérée depuis tant de générations par les artistes. Certains suivent un chemin qu'ils croient apparenté à celui d'Arthur. Paul s'est perdu dans une poésie qui ne fut pas toujours bonne. On ne fait pas une oeuvre en l'espérant la faire. Il faut parfois accepter de se perdre sans préjuger de ce que la perte du sens apportera.

Patti Smith, la belle, n'a pas assez de ses souvenirs avec le beau Robert. Il fallait qu'elle achetât quelque chose qui lui vienne d'Arthur. C'est chose faite : elle a acquis une maison construite sur le domaine de la famille Rimbaud à Charleville. Ce n'est évidemment pas la maison où vécut le jeune Arthur, et on sait suffisamment sa détestation de ce terroir pour n'en avoir éprouvé aucun véritable plaisir. Patti Smith croit-elle pouvoir trouver dans cette maison des parcelles de lumière qu'Arthur aurait pu dispenser ?

Patti Smith et Robert Mapplethorpe


Les Inrocks, qui écrit souvent des trucs très cons, n'a pas dérogé à son habitude. Voici ce qu'écrit le journaliste :

« Patti Smith est désormais la propriétaire de cette petite bâtisse champêtre dans laquelle on imaginerait sans mal Arthur Rimbaud, rédiger les vers du Dormeur du Val (1870) ou du Bateau Ivre (1871). Si la nouvelle a été rendue officielle la semaine dernière (lundi 20 mars), la transaction s’est décidée en février 2017, lors du passage de la chanteuse au festival Génériq. »


Maison sur le domaine de la famille Rimbaud à Charleville

Ce qui est très con, c'est évidemment de penser qu'une « petite bâtisse champêtre » telle que celle-ci, qui n'était pas construite au moment de la mort de Rimbaud en 1891, aurait pu permettre d'écrire Le dormeur du val, ou Le bateau ivre. Les Inrocks doivent s'imaginer que le travail de poésie est une sorte de labeur routinier auquel on s'attache en gentleman farmer. Je ne prétends pas savoir où Arthur a écrit ces deux poèmes. Mais en octobre 1870 et au printemps 1871, dates de leur écriture, Arthur était déjà en fugue de ce lieu, et la maison n'existait pas. Les poètes, alors, se réfugiaient davantage dans les cafés, qui étaient chauffés, et où il était possible d'avoir de la lumière permettant d'écrire. 

Il est bien difficile d'imaginer dans cette pensée bourgeoise, et très parisienne pour ce qui concerne Les Inrocks, ce que peut être un travail d'écriture. Je veux dire de celle qui a dévoré Arthur.

Et lui rendre hommage, justement, ne passe pas par d'autre voie que par la lecture de son oeuvre. Une nouvelle édition vient de sortir dans la collection Quarto de Gallimard :


Un concert d’enfers. Vies et poésies, d’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, édité par Solenn Dupas, Yann Frémy et Henri Scepi, Gallimard, « Quarto », 1 856 p., 29,50 €.

Ça aussi, c'est le deuxième aspect du fétichisme, les rééditions à l'infini qui n'apportent rien de plus... Le titre est un peu con, là encore. Un concert d'enfers. Je leur laisse.

Je vole au journal Le Monde l'image façon Roy Lichtenstein, signée Grégoire Guillemin, qui illustre le bouquin. L'illustration est marrante, un peu anachronique, mais c'est sans importance. Lisons, relisons Arthur, et Paul. Peut-être un peu de cette vibration nous atteindra-t-elle, sans fétichisme. Si la lumière éclaircit les brumes de notre cerveau, la journée n'aura peut-être pas été perdue.

© Grégoire Guillemin

5 commentaires:

paul c. a dit…

La photo est celle de la "nouvelle maison" construite sur l'emplacement de la ferme familiale des Rimbaud-Cuif à Roche.
Cette ferme,dont les Allemands avaient fait leur quartier général lors de la premiére guerre mondiale,a été dynamitée à leur départ en Octobre 1918;il n' en reste plus qu'un pan de mur .

Celeos a dit…

Merci de ce complément, Paul.

estèf a dit…

"On sait que le propre des collectionneurs est, justement, de ne pas pouvoir venir à bout d'un certain nombre d'objets qui contiendraient des parcelles d'une personne et de ce qu'elle a été et touché, d'une civilisation."
Arf...

joseph a dit…

La poésie, un débat tellement bien éclairé dans "Le cercle des poêtes disparus" , mais que je traduirais par la douleur de celui qui veut décrire l'indicible caché dans toute chose - comme le peintre se mutilant parce que se sentant incapable de reproduire ce qu'il a ressenti devant tel paysage ou à un quelconque instant- mais passion et raison sont elles ls compatibles, depuis mes études des grandes tragédies françaises , j'en doute ! et c'est ce doute que je voudrais voir le poête et l'écrivain distiller !

Celeos a dit…

Oui, il y a peut-être de cela dans l'inconfort de la poésie: ne pas savoir traduire l'exactitude de l'émotion car les mots ne peuvent être que l'expression de la trahison.