Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mardi 11 avril 2017

Le trou

Le trou (1960) – Jacques Becker

Arte nous offrait hier un très beau film de Jacques Becker, Le trou, servi par des acteurs encore une fois d’une immense qualité. Peut-être une espèce de cinéma-vérité qui s’exerçait là pour l’une des premières fois s’agissant d’un cinéma grand public et permettait de donner au sujet une dimension d’une grande tension : pas un instant de relâchement de l’attention dans ce film dont le prétexte — des prisonniers qui préparent leur évasion de la cellule qu’ils partagent — a été traité à de multiples occasions.



La France des années 1950, d’une certaine manière, se caractérise, Michel Foucault l’a bien montré dans Surveiller et punir, paru en 75, par la prison : un huis-clos, un lieu d’enfermement. C’est bien la France de l’après Seconde Guerre mondiale qui est présentée, société masculine dont la présence des femmes n’est qu’à peine esquissée, et dont les garçons, dans le film sont tous des réprouvés. Thème genetien par excellence, évidemment, jusqu’à la notion de trahison. La société peut être vue ainsi, ceux qui servent un pouvoir coercitif, et ceux qui tentent désespérément de s’en échapper. Car, de toutes façons, être réprouvé n’est qu’un état visible de la situation : même ceux qui servent le pouvoir ne sont pas exempts de distorsion avec la règle établie par le pouvoir : la préparation des élections présidentielles actuelle nous en donne de beaux exemples. Lorsque les plombiers viennent réparer la fuite du robinet au lavabo unique de la cellule, pendant la promenade, et en profitent pour rapiner des timbres, des cigarettes, broutilles, évidemment, mais qui prennent une dimension incroyable dans l’univers carcéral, on s’aperçoit que la situation est inversée : c’est la microsociété des taulards qui réclame justice — et l’obtient à partir d’une nouvelle règle consentie entre eux et le système pénitentiaire.

Aussi, ce huis-clos présenté dans la cellule, dans lequel le projet d’évasion prend une dimension presque surhumaine, montre-t-il la construction des relations entre les garçons, les fragilités qui proviennent toutes de ce qu’il reste de relations avec le monde de l’extérieur. Le projet d’évasion procède de deux intentions presque opposées : d’une part, rejoindre le monde extérieur, mais pensé autrement que celui dont viennent les garçons — c’est un monde exotique, au sens premier du terme, qui est rêvé, celui dont les éléments ne sont pas ceux de la société archaïque, le monde que les peintres, par exemple Gauguin, ont exprimé de la manière la plus visuelle qui soit : les couleurs en sont résolument différentes.
C’est la mise en œuvre du projet qui prend la part la plus fascinante du film : comment creuser, attaquer le ciment du sol, refabriquer des outils à partir d’objets les plus frustes, passer par des portes de puits, contourner les obstacles, participer de ce milieu dont les égouts représentent l’un des symboles les plus forts, pour arriver en fin de compte à cette sortie hors des entrailles de Paris.

La redécouverte du sablier

À ce projet vient s’opposer la surveillance des matons, les réticences de certains taulards, ou leur grande fragilité. Dans cette micro société les hiérarchies se sont reconstruites, dont l’expérience, l’âge, les caractéristiques physiques déterminent les règles. Le regard de Jacques Becker se fait documentaire lorsque la pratique matérielle d’une action fait se poser le regard du spectateur sur les mains, les visages qui trahissent les sentiments, parfois à la limite d’exprimer le désir amoureux. La sexualité, rapidement évoquée, ne tient aucune place visible.
Du point de vue technique, le film reste fascinant par l’absence d’artifice : la photographie de Ghislain Cloquet est exceptionnelle, heureusement très bien servie par une restauration d’excellente qualité. Ce sont les deux prestations de Jean Kéraudy et Marc Michel qui donnent le rythme du film, dont les personnages sont réellement habités par leurs propres fièvres.
Il n’est pas possible de raconter Le trou, dont François Truffaut pensait avec raison qu’il s’agissait d’un chef d’œuvre. L’ensemble des éléments rassemblés dans ce film donne, je le crois, une vision stupéfiante de ce que fut la société française. De ce qu’elle est peut-être encore.



On trouvera sur la Toile beaucoup de critiques sans doute plus détaillées que mon billet de ce jour, dont la fiche de Wikipédia. Je ne peux que recommander de le revoir, tant la richesse de son contenu me semble de nature à alimenter une réflexion inépuisable. Jacques Becker est décédé peu de temps après l’achèvement du film : c’est ainsi une sorte de testament artistique dans lequel il a investi une marque d’auteur magnifique.





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