Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

lundi 31 juillet 2017

Jeanne, forever

Beaucoup de disparitions cette année. Il faut espérer que beaucoup de jeunes gens, de jeunes filles sont déjà là pour prendre la relève de leur engagement dans le monde, sans souci de savoir si cet engagement est ou non politique : il l'est de toute manière.
Jeanne Moreau fut engagée jusqu'au dernier moment pour la défense de ceux qui osent s'élever contre les pouvoirs, totalitaires par nature. Jeanne Moreau fut belle, fut une femme d'une immense beauté dans chacune de ses manières d'être dans la vie comme dans ses prestations artistiques. Elle avait encore, je le crois, beaucoup à dire et à faire dans un métier dont elle fut l'une de ceux qui en faisaient un moyen de témoignage contre les dominations.
Salut à vous, Jeanne, que j'aurais aimé croiser.




Pensée pour Albert Cossery

Albert Cossery, écrivain de langue française, d'origine égyptienne est décédé en 2008.
On trouvera ici un bon article de Wikipedia qui donne un bel aperçu de son oeuvre.





samedi 29 juillet 2017

Dionysos se fout de moi (2/2)

(Suite et fin)
Mais les deux garçons se foutent bien, j’imagine, du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Je voudrais, à mon tour, les interroger sur ce sens du voyage qui mène les hommes depuis toujours, depuis cette Afrique originelle, et ce sens de l’oubli qui fait qu’on ne sait plus retourner à l’état ou au lieu d’origine. Dans le grand départ des esclaves, il y avait l’arbre d’oubli autour duquel il convenait de tourner pour que la mémoire des choses s’estompe définitivement. Mais la mémoire a des ressorts insoupçonnés : il suffit qu’on veuille oublier pour que surgisse, longtemps après, le souvenir décuplé de la violence subie. Je ne sais combien il faut alors de pseudos matamores pour faire croire que les violences originelles ne sont pas la cause des déchaînements ultérieurs.
Je n’ai pas le temps d’aller plus loin avec les garçons. Ils ont sans doute d’autres sujets d’intérêt et nous quittent, nous laissant, le gardien des lieux et moi-même dans un rituel convenu où, les choses ayant été dites, il n’y a plus qu’à retourner sur nos chemins ordinaires.
Le mien reprend les vieilles rues qui me semblent déjà brûlées par le soleil, il y a si longtemps. Je sais que sant Iago fut repris comme emblème lorsque l’Espagne devenue républicaine fut l’objet de cette revanche sauvage des nationalistes. Le Roussillon et ses plages furent alors cet espace de désespoir où dans le sable la France encore républicaine laissa survivre dans les pires conditions ceux qui osaient rêver à d’autres façons de vivre, et qui avaient commencé à mettre en œuvre les conditions de l’égalité entre êtres humains. Ceux que j’avais rencontrés alors m’avaient permis de croire, dans la force de leurs récits, que j’avais vécu ces moments avec eux, dans leurs espoirs, dans leurs douleurs et dans leurs larmes. Je n’en étais pas revenu indemne.
Le Roussillon conserve encore sans doute cette violence-là, parmi d’autres plus actuelles, peut-être plus sournoises. Il faut peut-être les chercher dans le contraste des rues, dans les conditions non dites d’une ville mutique.
Mes pas m’amènent vers les places plus fréquentées. La Venus de Maillol se tient tout aussi mutique que la ville qu’elle honore. Je regarde ses formes généreuses. Je ne doute pas que Maillol a voulu à la fois rompre avec les canons académiques en affirmant que la Méditerranée est au XXe  siècle autre chose que ce monde en effervescence violente. Lui croyait, certainement, en un sein maternel accueillant, en une procréation et un monde fertile porteurs de joie ; en un mot que l’enchantement pouvait trouver sa place en ce lieu de la côte méditerranéenne. Peut-être suffit-il d’un oranger dans l’humble jardin d’une maison catalane, pour vivre réellement cet enchantement. Qu’une jeune fille aux seins à peine dénudés en tendant le bras se saisisse de l’orange et la réalité rattrape alors ce sens de l’enchantement. J’y rêverai, en ce qui me concerne d’un jeune garçon au torse nu dont la ceinture du pantalon s’est relâchée au-dessous du nombril pour que le même oranger au-dessous duquel il se tient devienne cet arbre du désir qui peut satisfaire les deux sexes, tour à tour.
Je n’irai pas beaucoup plus loin ; les rues abondent, ici, d’une foule harassante et désœuvrée quand les plus hauts quartiers ne montraient qu’une beauté nue jusqu’à l’os, presque desséchée jusqu’au noyau dont les moignons témoignent de la chair absente.
Je trouve la terrasse d’un patio dont le café est dissimulé sous une arcade. Je m’y assois. Mes sentiments sont ceux que produit cette ville, tout entière ouverte vers ce mariage d’ocre et de ciel et de déchirements qui s’étoffent tout au long des rues que je n’en finirai jamais de parcourir ; pas plus qu’Athènes dont chacun de mes pas me rapproche et m’éloigne à la fois.
Velasquez - Los Borrachos - ca 1628
Attendant le serveur, je regarde sur mon téléphone quels sont les garçons, ici, en recherche d’autres garçons. J’hésite toujours à affronter le côté trivial de ces annonces de vendeurs à la sauvette. Ma curiosité demeure plus forte : un visage ou un sourire parmi l’un d’eux pourra éclairer ma journée, me laisser croire que le regard est celui d’un esprit qui sait que, cherchant un autre garçon, il s’agit d’abord de se tenir par la main, par les épaules, quand le besoin de douceur se fait plus fort, plus impérieux, et que finalement la découverte d’une autre virilité permettra de se rassurer d’une manière que l’on voudrait simple ; les rituels en sont souvent sans surprise. On ne leur demande que d’être suffisants à ce que la rencontre ait eu lieu.
Les visages défilent. Soudain un son se fait entendre, me signalant qu’un message m’est adressé. Je le consulte. Je vois le visage de celui qui m’a laissé quelques mots. Il m’interpelle de manière ironique, me demande ce que je fais, à mon âge, sur ce site de rencontres. Il n’est pas davantage quelqu’un qu’on pourrait appeler jeune. Que cherche-t-il à m’interpeller de manière un peu agressive ? Je lui réponds sur le même ton. S’ensuit un échange curieux dans lequel il me provoque. Je suis à la fois amusé et agacé. Je ne l’ai pas interpellé ; est-ce lui qui cherche peut-être des garçons plus âgés ? Je ne sais pas et ne veux pas donner suite, sans le laisser pour autant dans l’idée d’un amusement de sa part.
« Demain tu as mon âge » lui-dis-je. J’imagine que ce que je viens de lui envoyer est de l’ordre de ce qu’il sait. Peut-être ne veut-il pas en avoir vraiment conscience. Peut-être croit-il que j’allais m’accrocher à la conversation ainsi démarrée. Peut-être est-ce sa manière d’aborder les garçons, un peu brutale, afin, une fois l’accroche réalisée par la provocation, d’aller plus avant dans la conversation, et, pourquoi pas, vers ce qu’il est convenu d’appeler un plan.
Je n’ai pas souhaité en savoir davantage. Mon esprit, à ce moment, n’était pas tourné vers ce type de relation. Je n’avais besoin que d’un moment de douceur pour réaffirmer le sentiment de solitude absolue dans lequel mes pensées m’avaient amené. J’éteignis mon téléphone portable. Le café noir m’avait remis sur la langue cette saveur amère avec laquelle les mots se précipitent parfois. Je repris ma route vers la gare ferroviaire, bus en attendant mon train une dernière bière en pensant aux rivages de Crète et revins dans mes pénates habituelles.
Quelques semaines plus tard, le grand jour était arrivé. Les invitations étaient envoyées, tout était mis en place, et contre toute attente, sans le stress habituel que ce genre de préparation occasionne. La manifestation culturelle pouvait se tenir. Les discours se suivirent. Il ne restait qu’à enfin relâcher la pression en profitant du buffet très honnête qui était servi. Il fallait toutefois répondre aux journalistes, aux sollicitations diverses, faire bonne figure aux félicitations nombreuses. J’allais de l’un à l’autre, répondant aux demandes de l’artiste, heureuse de sa rétrospective. Enfin je pus m’approcher de la table du buffet. J’avais surtout très soif après cette dernière journée où il avait fallu vérifier que tout était parfaitement organisé. Dans le jardin, sous les platanes, les conversations se poursuivaient. J’essayais de prendre un peu de recul afin de respirer enfin dans cette fin de journée.
À une dizaine de mètres, derrière la table du buffet, un visage que je connais interpelle mon regard. Il ne me voit pas. Je ne le reconnais pas, tout d’abord. C’est le haut du visage qui me revient en mémoire, dont je ne saurais dire où je l’ai vu. Mais cela m’arrive souvent ; je rencontre beaucoup de personnes dans ma profession, de tous âges, et j’ai souvent le plus grand mal à identifier le lieu de la rencontre, car ma mémoire retient facilement les visages et les voix, plus difficilement les lieux ou les moments de ces rencontres.
Néanmoins, ce regard aux yeux verts, le haut de sa mâchoire ont réveillé dans mon esprit quelques interrogations. Soudain, tout s’éclaire : ce visage est celui d’une photo vue sur mon téléphone portable, un soir d’hiver où il s’agissait de distraire un moment de solitude sur cette application de garçons. Je ne me souviens pas des circonstances ; sans doute était-ce lui qui avait envoyé un laconique « salut » sans ponctuation. J’avais répondu. Le dialogue est souvent d’une banalité affligeante. Il faut rapidement dévier la conversation vers d’autres sujets que les seules considérations sexuelles ; cela relève, sur ces lieux de rencontres virtuelles, de la prouesse. En l’occurrence, nous avions commencé à discuter de manière très agréable. Sans qu’il se livre davantage, je comprenais qu’il ne se satisfaisait pas de son corps. Le passage de sa jeunesse à un physique d’adulte le laissait peut-être désemparé : le changement du visage, la pilosité, la musculature parfois insuffisante sont autant de sujets qui peuvent laisser un jeune garçon dans le désarroi. La recherche d’identité, et l’idée d’appartenir à une catégorie de garçons particulière est de nature à s’affirmer tel que l’on apparaît ; ou vouloir se retrancher des modèles auxquels, qu’on l’accepte ou non, on s’assimile finalement.
Notre discussion n’avait pas abouti : la différence d’âge que j’avais mise en avant avait sans doute joué, et quand bien même je n’aie pas de difficulté à passer un moment avec des garçons plus jeunes que moi, je préfère rappeler que les garçons d’âge mur sont peu présents sur les peintures érotiques de Pompéi ou d’ailleurs. Les personnages à figures noires des vases attiques sont aujourd’hui un peu oubliés, si notre période est devenue plus permissive.
Nous en étions restés là. J’avais toutefois conservé en mémoire ce visage, qui sans être beau, m’attirait.
Et voilà que soudain non seulement le visage dont je n’avais eu qu’une vue partielle, ainsi que d’autres partie de son corps, m’apparaissait, mais lui-même  devenait le personnage principal de ce lieu, à moitié visible derrière la table du buffet transformée pour le coup en une scène de théâtre. Loin de la table, je ne pouvais qu’essayer de comprendre les rôles des différents serveurs ; lui était habillé différemment, d’un ensemble noir dont je ne comprenais pas la différenciation tout d’abord : les autres serveurs étaient habillés de chemises blanches, tel que de coutume dans ce genre de circonstances. Lui paraissait regardé avec amitié et amusement par les autres serveurs ; je comprenais soudain la raison de son habit noir : il était le chef de cette prestation, et avait organisé le dressage des petits fours, choisi les vins qui devaient désaltérer les convives. Il paraissait souriant, de taille moyenne, mais également intimidé par la situation. Je ne pouvais détacher mes yeux de ce garçon dont la réalité m’apparaissait alors, peut-être plus désirable que je ne l’avais perçu par l’intermédiaire de la virtualité, et qui s’offrait à mes yeux sans rien savoir de mes émois, aussi soumis à ce spectacle mondain qu’est un buffet réunissant des amateurs d’art mais dont la principale préoccupation reste de le faire reconnaître ; dans ce rituel social, le garçon restait nécessairement à l’écart. Le personnel de service ne fait l’objet alors d’aucune espèce d’intérêt si ce n’est celui de répondre aux attente des convives. Le garçon restait cependant pour moi le seul objet d’intérêt, sachant, de manière secrète, son propre goût pour les garçons, et que, de ce fait, j’étais en mesure d’interpréter chaque geste de sa part comme l’expression de sa nature et que cette nature me paraissait délicate. Sur les sites de rencontres il n’en est pas fait état, comme si le filtre socialement admis ne se réduisait qu’à la capacité de présenter des formes de la sexualité masculine. Il faut en effet des situations inattendues pour que se révèlent chez les garçons d’autres formes de leur nature, affranchies de la nécessité de se prouver une improbable virilité qui ne soit pas réduite à la capacité de dominer ou d’être dominé.
Devant moi, de loin je le regardais évoluer, comme pour une danse, dans la longueur de la table du buffet, devenue alors une scène dont il était pour moi le seul danseur, et comme s’il dansait pour moi seul, seul capable de comprendre sa nature de garçon en recherche d’une grâce permise par les mouvements de son corps.
Le buffet s’achevait ; les convives repartaient, peu à peu. À plusieurs reprises j’étais interpellé par divers invités dont aucun ne pouvait me parler de choses d’un quelconque intérêt pour moi. Je débitais, de manière convenue, quelques phrases me permettant de me dégager d’une conversation plus personnelle. J’étais troublé à un point qui me semblait dépasser l’entendement. Tout mon esprit était tourné vers l’image de ce garçon, cette fois bien réelle.
Le téléphone sonna. J’étais resté dans l’attente de la fin des festivités, et on réclamait ma présence pour le repas réservé dans un restaurant en ville. Il fallait que je parte. Je ne savais si je pouvais parler à ce garçon, ce qui aurait sans doute créé un hiatus, entre ma posture et la sienne. La seule relation possible qu’il me devenait permise, la seule demande sociale que je pouvais alors lui formuler n’était que de solliciter qu’il me serve un verre de vin, en dehors de toute autre chose.
Je me résolus ainsi à m’approcher de la table du buffet ; le téléphone sonnait encore, me redisant que les tables du restaurant se complétaient et que ma présence était requise pour ajuster le plan de table. Je m’avançai alors vers la table du buffet. Je tendis mon verre vers le garçon, lui demandant s’il pouvait me resservir un verre de vin blanc. J’entendis sa voix pour la seule fois. Il prit mon verre, le remplit et me le tendit, m’accordant ainsi le seul regard de ce moment. Je restai un instant près de la table. Je voulais entendre davantage de sa voix, savoir s’il faisait chanter ses intonations. L’une de ses collègues lui parla ; il répondit, mais de manière trop rapide pour que je puisse mémoriser sa voix. Je bus d’un trait ce qu’il restait de mon verre de vin blanc. Je le posai, et je partis pour le restaurant. Je savais que je ne reverrais pas ce garçon, et que je ne rechercherais pas les moyens de le retrouver.
Lorsque je fus placé, aux côtés de l’artiste, en face de personnes avec qui je ne souhaitais pas particulièrement discuter ce soir-là, éloigné d’autres personnes avec qui passer la soirée m’aurait été agréable, je compris qu’il y avait là une dernière ironie avec laquelle je devais composer, et la soirée se passa, de la manière la plus courtoise qu’il me fut donné de me comporter.
Ces derniers jours, Dionysos est repassé. J’ai entendu son rire, derrière le buisson où un chevreuil s’était dissimulé. Je l’ai revu partir. Sur le chemin, d’autres clathres rouges avaient poussé. Je ne sais pas s’il reviendra. Bientôt mon chemin croisera le sien, je le sais. D’autres garçons s’y trouveront également, loin de ce Sud dont je garde le souvenir des chassés-croisés, des chemins abandonnés, des fantômes du Moyen-âge dont le fracas des armes a fait exploser les pierres, de ce ciel balayé sans cesse des caprices de la tramontane, du Cers, ou du Marin. Vers d’autres montagnes, d’autres collines et rivages, un autre chemin me reste à parcourir. Le vent vient de s’y lever.

vendredi 28 juillet 2017

Buffet froid

Le Musée d'art moderne de la Ville de Paris présentait à l'automne dernier une rétrospective de l'oeuvre de Bernard Buffet. Ce peintre fut sans doute l'objet d'un immense malentendu duquel il ne souhaita pas forcément s'échapper. Il était d'abord un style de dessin, tellement reconnaissable que les bons dessinateurs étaient capables de reproduire à l'infini. Là était également la limite de son génie : il ne suffit pas d'avoir trouvé un style, il faut également que le style porte l'oeuvre qui est faite des fulgurances de la vie. Or ces fulgurances se retrouvent dans Bernard Buffet, au début de sa vie. Est-ce le succès, l'incompréhension d'un public davantage porté par les marchands de peintures qui ne lui ont pas permis d'imposer ce qui, en lui, l'avait porté dans sa jeunesse ? Je ne sais. Les toiles qu'il a peintes à partir notamment de la période du « cirque » sont de nature à tromper le public et à le tromper lui-même. Pour autant, le Bernard Buffet des années de jeunesse est un peintre plus intéressant qu'on ne le croit, affirmant dans une période tourmentée des choix esthétiques qu'il abandonne plus tard. Est-ce la proximité de Pierre Bergé, son compagnon alors, qui lui permet de poser ainsi cette touche, à la fois scandaleuse et ulcérée contre la mort et la folie des hommes ? Je ne sais pas s'il a lui-même répondu à la question. Il reste ses toiles que le Musée d'art moderne de Paris a eu la bonne idée de présenter. L'exposition s'est tenue du 14 octobre 2016 au 5 mars dernier.


Voici quelques peintures de la première période qui y étaient exposées. La qualité des photos n'est pas extraordinaire, mais elles illustrent la période du début de la carrière du peintre. Si je présente ici le Bœuf écorché de 1954, qui fait référence évidemment à celui de Rembrandt, la série que je n'ai pas présentée sur la guerre, dont une peinture est un hommage au Douanier Rousseau, me paraît assez remarquable et d'une grande force. On imagine, évidemment, qu'il était difficile à Bernard Buffet de continuer dans cette série qui aurait pu être une suite sans fin. Lui fit-on ce reproche, que sa peinture est d'une empreinte tragique trop difficile pour être suffisamment vendable ?  On n'imagine pas que Picasso ait pu à l'infini, peindre des Guernica. Picasso avait d'autres ressorts que n'avait peut-être pas Buffet...

Bernard Buffet - L'atelier - 1947


Bernard Buffet - Deux hommes dans une chambre - 1947


Bernard Buffet - Homme nu dans la chambre - 1948


Bernard Buffet - Vacances dans le Vaucluse - 1950


Bernard Buffet - Le bœuf écorché - 1954

jeudi 27 juillet 2017

The great tamer

Les références aux beaux-arts sont innombrables pour ce spectacle magnifique de Dimitris Papaioannou que j'ai vu mardi à Avignon à la FabricA, beau lieu de résidence artistique qui devient une magnifique salle de spectacle pour le Festival d'Avignon.

The great tamer est une fresque qui reprend le rapport des hommes au sacré et au profane, ce rapport passant indiscutablement par l'art. Singulièrement en Grèce, où l'archéologie reste omniprésente. La grande stratification de l'histoire, dans laquelle se superposent les regards sur le monde, se rapporte encore et toujours à la manière dont le corps est ce par quoi notre relation aux autres et au monde s'établit. Le sujet reste inépuisable.

Voici le beau papier écrit par Anne Diatkine dans Libération : ici.



THE GREAT TAMER (2017) / a new work by Dimitris Papaioannou / trailer from Dimitris Papaioannou on Vimeo.


Voici, du même tonneau, créé en 2012, Primal matter d'une grande force créative : il s'agit de déconstruire et de recontruire différemment les éléments d'un corps, d'une matière primale, en effet. Le spectacle d'une durée de dix-sept minutes est ici intégral. The great tamer sera représenté dans différentes villes européennes principalement. A ne pas manquer, évidemment, le spectacle vivant restant de loin d'une dimension bien plus sensible, à tous points de vue.



PRIMAL MATTER (2012) by Dimitris Papaioannou / the entire work in seventeen minutes from Dimitris Papaioannou on Vimeo.

mercredi 26 juillet 2017

Le garçon à vaches de minuit

Jon Voight a mal vieilli, devenu très réac ; le film peut-être un peu moins. L'autre jour, les amis de L'avenue rappelaient ici l'un des tout premiers films de Dustin Hoffman, The graduate dont on a encore en tête la chanson de Paul Simon et Art Garfunkel Hey, Mrs Robinson. C'est vrai que cette période a été d'une grande production créative, quelles que soient les disciplines concernées. 

En 1969, année érotique disait Serge Gainsbourg, sort Midnight cowboy, de John Schlesinger, adapté du roman de James Leo Herlihy. Le film néglige le début du roman, mais fait des deux personnages joués par Jon Voight et Dustin Hoffman deux beautiful losers au moment où les déclassés commencent à devenir plus visibles. Leurs espoirs naïfs et leurs routes improbables se croisent dans une Amérique qui n'a pas beaucoup de compassion pour les déclassés justement. Schlesinger en fait un film magnifique, récompensé par de nombreux prix malgré les scènes chaudes que le film évoque. C'était sans doute l'un des premiers films grand public où des scènes gay étaient ouvertement suggérées. Il se revoit avec émotion, et le jeu des acteurs reste un vrai plaisir dans une histoire largement touchante, dont on a l'impression, presque soixante ans après, que ce monde n'a pas forcément beaucoup changé...



mardi 25 juillet 2017

Angelo

En 1958, Jean Giono publie Angelo chez Gallimard. Ce livre est écrit en 1945, et doit être le premier d'une série qui fait se confronter des périodes de temps où s'éclairent les conduites des hommes. Un projet terrible, que même un écrivain comme Giono ne peut mener à terme, et auquel il renonce dans sa forme initiale.
Néanmoins, il se livre, dans la fameuse émission « Lectures pour tous» interrogé par Pierre Dumayet, à quelques confidences passionnantes. D'abord l'hommage à son père, Jean-Antoine, qui fut carbonaro, et, de ce fait, condamné à mort en Italie et auquel l'exil permit de continuer son engagement philosophique d'une autre manière. Ensuite Giono donne également, sinon des «recettes» d'écriture, du moins l'attitude qu'il adopte dans son travail de réflexion entre le moment où il pense ses personnages et celui où il réalise cette écriture. Ses personnages ont alors une vie propre dont il ne maîtrise pas forcément les séquences ou les manières de se comporter dans le déroulement de l'histoire. Cette emprise de l'histoire et des personnages a quelque chose de fascinant dont l'écriture retrace le témoignage : Jean Giono rappelle que si l'écriture d'Angelo a nécessité six jours de travail, c'est un long travail d'alchimie dont seul son esprit a pu permettre l'élaboration. Parallèlement, plusieurs narrations peuvent émerger dans le même temps, dont la forme nécessite une expression différente, donnant l'idée qu'elles sont issues de moments ou de temporalités différentes.
Deux formes du voyage, dont Jean Giono fut un praticien dans l'écriture. Je repense à quelques auteurs : Sylvain Tesson, Jacques Lacarrière, Nicolas Bouvier. A la grande diversité qui les caractérise se retrouve la convergence de ce sentiment extraordinaire qui permet le voyage, où que l'on se trouve.

« C'était une nuit extraordinaire.
Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe. Elles étaient en touffe avec des racines d'or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de nuit. »
écrit Giono au tout début de Que ma joie demeure.

Lorsque l'esprit a laissé se poser la manière dont les éléments s'ajustent, dans la seule logique des choses simples, alors les personnages arrivent tout seuls, seuls maîtres de leur propre histoire.



lundi 24 juillet 2017

La pasta di Marco

Marco  - Marco in the box - est un italo-irlandais fort sympathique avec ses bites culinaires.
Là, de manière très basique, voici comment préparer la pasta al pomodoro con basilico. Rien de sorcier pour ces papillons, pourvu que tout cela soit al dente, évidemment !


dimanche 23 juillet 2017

Basse flamenque - Adam Ben Ezra

Pour rester dans l'atmosphère que la proximité de l'Espagne évoque avec mon précédent billet, voici une performance à la contrebasse. Les cordes excellent à exprimer cette musique, mais j'avoue que je n'avais encore jamais entendu de flamenco à à contrebasse. On ne demande qu'à y revenir. L'artiste s'appelle Adam Ben Ezra.

Passez un bon dimanche !



samedi 22 juillet 2017

Dionysos se fout de moi (1)

Dionysos se fout de moi

Tout à l’heure, en nettoyant le passage du chemin, entre trois herbes, une couleur rouge attire mon œil : c’est un clathre rouge ! Ah ! il est revenu sans me prévenir. Je comprends alors quelques événements de ces derniers jours desquels il n’est pas tout à fait étranger. Je m’interrogeais sur les coïncidences qui s’étaient manifestées et je comprends que les hasards n’existent pas dans les rencontres en particulier.
Aurais-je pu penser que dans les histoires de garçons qu’il m’arrive de croiser çà ou là, Dionysos aurait pu mettre son grain de sel ? De quoi se mêle-t-il, me dis-je ? A-t-il besoin, lui en particulier, de me dire ce que j’ai à faire ou non ? J’ai traîné mes guêtres dans quelques pince-fesses mondains dans des villes différentes de ce Sud qui m’agace autant que je lui suis attaché. J’y retrouve des collègues, garçons ou filles, que j’ai plaisir à voir, que je n’ai l’occasion de rencontrer qu’à ces rares moments. Les rencontres se terminent parfois dans un restaurant où l’on apprécie la gastronomie populaire mais goûteuse de ces coins ensoleillés. Cette fois-ci une esquixada de morue fit mon bonheur, arrosée d’un vin gris qui fut le bienvenu. Et puis les conventions d’usage des repas se terminèrent, chacun retourna à ses obligations professionnelles ou familiales.
J’avais décidé toutefois de rester quelques heures de plus, profitant du déplacement pour revoir certains lieux un peu oubliés. Le baroque de ces régions est passionnant, témoignant d’une période où le Sud fut d’une autre capacité à prendre une place de renom lorsque la Méditerranée était ce lieu de rencontre entre Orient et Occident, dans le souci de promouvoir les échanges commerciaux à une époque où l’on définissait le commerce dans d’autres dimensions que la seule marge financière réalisée, dans la volonté de faire s’épanouir les imaginaires avant que les États hégémoniques ne règlent au pas militaire l’administration de frontières bien peu légitimes. Les siècles qui suivirent ne donnèrent pas un visage plus avenant à ces lieux, définitivement engoncés dans un repli sur eux-mêmes.
Le Sud aujourd’hui vit des heures difficiles, comme bien d’autres régions abandonnées par l’industrie. L’agriculture n’y est plus qu’une activité secondaire, même si certaines disparités montrent que demeurent quelques secteurs qui ne devraient pas disparaître. Il existe heureusement cette forte présence de la manière dont les hommes et les femmes ont su faire vivre leur relation à la nature, au sol. Et cependant, j’avais constaté l’an dernier que ce qui faisait encore il y quelques années la qualité et l’harmonie de ces lieux était en train, là comme ailleurs, de devenir des friches abandonnées, montrant que ce qui a fait autrefois l’enchantement de ce Sud était davantage lié à la capacité humaine d’en transformer les éléments naturels qu’à la seule dotation des dieux que seraient la mer, les côtes sableuses ou déchiquetées de ces roches argentées qui rappellent que les Pyrénées sont cette force avec laquelle il convient de composer sans jamais se lasser, comme avec toute montagne. Il est loin le temps où le peintre et sculpteur Maillol avait traduit cet enchantement dans sa générosité des formes qui était l’expression esthétique de ce monde méditerranéen d’alors. Il en demeure la trace dans les espaces publics. On évoque sa présence avec sa silhouette efflanquée qui contraste avec les formes féminines que son regard projetait sur ce monde, héritier des voyages d’Ulysse. Les passants déambulent devant ce regard déjà ancien sans que cela les affecte davantage : l’ouverture du monde au passage du monde est un poison sauvage, fait du goût de la liberté acquise, déjà perdue dès lors qu’elle est à peine consommée.

Aristide Maillol - La Méditerranée-La Côte d'Azur- 1895

Le tourisme peine toutefois à dissimuler de véritables pauvretés, liées à une segmentation affirmée de la population. L’État semble avoir abandonné son rôle dans le domaine social, faute des financements nécessaires. Dans cette ville où l’extrême droite réalise de bons scores, on constate le manque d’activités de certains quartiers, laissés à un habitat dégradé, peuplé par des communautés qui établissent leurs propres règles de fonctionnement. Je reste surpris qu’à cinquante mètres près, certains marqueurs délimitent ainsi le périmètre de ces populations segmentées, qui ne peuvent cependant être définies comme des « communautés ». Ce sont les détritus, abandonnés sans souci du rapport qu’on entretient avec eux qui permettent de marquer ainsi ces territoires. Là une trace de container qui a brûlé ; une façade délabrée dont on comprend que les propriétaires n’interviennent pas. Il reste, dans ces cas, à comprendre comment les « pouvoirs publics » peinent à jouer un rôle d’arbitre : la répartition de l’espace public et de l’espace privé, leur articulation dans l’usage même de cet espace public, traduisent la volonté politique de ce que l’extrême droite déteste : la notion du « vivre ensemble ». Les quartiers anciens conservent une large part du patrimoine bâti qui apparaît ainsi fossilisé, en décalage par rapport au reste des architectures qui se sont succédé. Les villes, où qu’elles soient, sont assez le visage de cette société, laissant de côté les populations les plus pauvres. Le taux de pauvreté a encore augmenté ces dernières années dans le Sud, mais rejoint en cela d’autres régions qui ont été dévastées par la désindustrialisation. Le quotidien incite à croire que ce repli qui se traduit également par d’autres formes d’économies, dites « parallèles », est aussi un repli du monde social.


Le Dévot Christ

Dans ma visite de cette église qui reste typique de la ville du Roussillon où je me trouve, un beau retable a été restauré, conservant certaines curiosités dont les périodes successives ont le secret. Il en résulte des syncrétismes parfois étonnants : on relit les périodes anciennes des textes religieux à la lumière de la période que l’on vit au présent. Rien de nouveau sous le soleil.
J’ai salué le gardien du lieu, qui était assis à l’entrée de l’église, se reposant de la chaleur implacable de ce mois de juin. Pour tromper son ennui, il s’est mis en devoir de me préciser certaines particularités de l’église, l’usage des confréries de pénitents. Il me montre une statue de saint Jacques, reconnaissable à son large chapeau, son bourdon, sa gourde à la forme si singulière de ces cucurbitacées méditerranéennes, sa large barbe. A-t-on oublié que saint Jacques est le héros matamore qui incarne la Reconquista espagnole catholique sur les Sarrazins ? Lorsque le roi Ferdinand, son épouse, la très catholique Isabelle établissent leur volonté d’unifier l’Espagne, c’est en rejetant tout ce qui n’est pas strictement catholique, abandonnant plusieurs siècles de partage de formes de vie communes, lisibles dans la poésie, l’architecture, la musique… Je garde en tête cette image des Cantigas de santa Maria d’Alphonse le Sage : deux musiciens jouent et chantent de concert, chacun vêtu selon les formes et les habitus de sa culture. L’un est glabre, vêtu d’une coiffe sur la tête, un pourpoint et des chausses, les pieds chaussés de savates ; l’autre est barbu, la tête coiffée d’un turban, le corps recouvert d’une djellaba nouée à la ceinture et il a les pieds nus. Jouant ensemble, ils savent que leur expression musicale commune excède leurs différences, que ce qu’ils donnent à entendre reste la sublimation de ce conflit qui fait que les sociétés sont différentes, que l’apparence des êtres humains les montre différents. La musique reste ce langage universel qui fait se retrouver la réalité de ce que vivent les hommes, de leurs espoirs, de leurs sentiments, de leur joie et de leur rire.

La Reconquista fut un retour en arrière, comme régulièrement l’histoire donne à comprendre la folie des hommes. Il fut un temps sur cette terre où l’on se souciait davantage de vivre avec les différences visibles. 
Du temps où le gardien de l’église est tout à cœur de me faire visiter les recoins les plus divers de ce lieu, deux garçons sont entrés, attirés par la curiosité du monument sans doute. Et cependant ce ne sont pas des touristes : ils n’en ont pas l’attitude. Ils se joignent à nous, écoutent notre discussion, nous interrogent. Leurs questions semblent naïves. Elles traduisent le paradoxe d’une interrogation plus forte que jamais vis-à-vis de la religion, dépourvue des bases élémentaires que représente la connaissance des textes. Les garçons sont barbus, mais comme le sont de plus en plus de garçons aujourd’hui. Je ne sais pas s’il faut lire ce trait physique comme une marque religieuse. Par principe, j’évite d’interpréter toute forme d’apparence, plus traître que jamais. Les garçons ne savent pas ce que signifient les représentations de la sainte Famille, les épisodes de l’Annonciation, de la fuite en Égypte. J’essaie de leur faire un résumé. Ils sont typés méditerranéens, ce qui ne m’aide pas à deviner leur relation aux croyances religieuses. 
De toute manière, je n’éprouve aucune espèce de sympathie pour les pèlerinages ; encore moins pour celui de saint Jacques de Compostelle. Si les imaginaires liés au Moyen-âge s’enflamment pour l’aventure que constitue le voyage, ses péripéties, ses découvertes de nouveaux horizons, ils font évidemment peu de cas de la signification de cette révérence au saint matamore. « Celui qui extermine les Maures ». J’abandonne bien volontiers aux naïfs cette révérence, et préfère le regard de la Commedia dell’arte qui a fait du Matamore un personnage ridicule, hâbleur, lâche et trouillard. 
(à suivre)

jeudi 20 juillet 2017

Michael Dameski

Une très belle prestation d'un jeune danseur autralien d'origine macédonienne (aïe ! de quelle Macédoine s'agit-il ? Le sujet est sensible en Grèce !) En tout cas, si la vidéo est courte, elle donne à apprécier toute la sensibilité et toute la capacité de ce garçon à se servir de son corps !


mercredi 19 juillet 2017

Des maisons bulles

Je parlais il y a deux jours de la Villa Kerylos et des expériences architecturales dont la Côte d'Azur fut le théâtre. Voici un exemple de maison-bulles d'Antti Lovag réalisée pour l'industriel Pierre Bernard. Il faut saluer ces audaces, plus sympathiques que le fascisme larvé de Le Corbusier, qui exprimait dans sa vision de l'architecture son goût pour les sociétés hyperautoritaires. La courbe m'a toujours semblé plus porteuse de liberté que l'angle droit. Vaste débat. Je note ici ce qui n'a pas été souvent signalé, me semble-t-il, dans des réflexions sur les rapports entre les différents arts. Le monde rigide croit toujours qu'il n'existe pas de passerelles ou d'interactions entres les différentes disciplines intellectuelles. 
Ainsi, a-t-on remarqué que le passionnant André Franquin, le créateur de Gaston Lagaffe, mais aussi rénovateur de Spirou avec la création de personnages aussi loufoques que créatifs, a évoqué à quelques reprises ces maisons-bulles dans les albums publiés ?



Tout d'abord l'idée dans Spirou et les hommes-bulles d'une cité utopique sous la mer, abritée par d'immenses bulles de plexigas est sans doute la synthèse de plusieurs influences : il y a dans Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, une première évocation de jardins marins, dont les hommes tireraient l'intégralité des ressources alimentaires ; l'intérêt pour la découverte sous-marine popularisée par Cousteau (un autre facho antisémite, tout aussi antipathique que Le Corbusier),  et de son Monde du silence (voir ci-après l'intervention de Gérard Mordillat qui analyse avec le regard d'aujourd'hui le comportement prédateur de Cousteau et de son équipe) ; mais l'idée surtout que l'habitat est un révélateur d'une autre manière d'envisager la vie. Chez Franquin Le nid du marsupilami semble procéder de cette même approche esthétique.

Peut-être reviendrai-je prochainement sur ce sujet...



Voici l'intervention de Gérard Mordillat sur le site de La-bas si j'y suis :




dimanche 16 juillet 2017

Kerylos

La villa Kerylos (mettre un accent aigu est superfétatoire) est une utopie de Théodore Reinach, l'un des trois frères érudits, passionnés de culture antique, et donc hellénistique, qui ont été actifs dans ce passage des XIXe au XXe siècle. Théodore Reinach confie à l'architecte Emmanuel Pontremoli la construction de la villa en bord de mer, à Beaulieu, sur la Côte d'Azur, lieu rêvé de ce passage où l'on s'imagine que les Grecs ont débarqué préférentiellement. Ce qui est bien sûr une erreur : les Grecs ont établi des comptoirs sur tout le pourtour de la Méditerranée septentrionale, et dans la région niçoise bien évidemment.

Il en résulte une espèce de lieu improbable, qui reste une pure construction intellectuelle telle que la modernité pensait le monde grec, mais surtout un palais tout à fait comparable à d'autres utopies : à Hauterives, le facteur Cheval pensait l'Orient, lui aussi à sa manière, et il en résulte une autre oeuvre, impressionnante, mais inhabitable. Dans le cas de Reinach, il s'agissait de produire un palais, mais avec les fonctions que le XXe siècle naissant (la villa prendra six ans, de 1902 à 1908 pour être construite) exigeait. Il s'agit davantage aujourd'hui d'un musée, qui a été confié à la mort de Théodore Reinach à l'Institut de France.


La région niçoise  a donné nombre d'aventures architecturales. Il faut mentionner à ce sujet les maisons "bulles" d'Antti Lovag. Pierre Cardin lui commanda une villa dans le massif de l'Estérel qui reste une curiosité.

La Villa Kérylos est également le titre du roman d'Adrien Goetz paru cette année, qui imagine l'influence des frères Reinach sur Achille Eiffel le fils de la cuisinière, qui deviendra également un érudit passionné d'Antiquité. Je n'ai pas encore lu le livre. C'est prévu pour cet été.





samedi 15 juillet 2017

LGBT au British Museum

Cette vidéo faite par le Bristish Museum est toute récente. J'en conclus que la «visibilité» homosexuelle fait l'objet d'un parcours dans le dédale des collections du musée. Est-ce une bonne idée ? Peut-être. Il fallait être d'un aveuglement volontaire pour ne pas voir représentée, dans les diverses collections, l'expression  de l'empreinte évidente de la sexualité dans les rites des sociétés passées, qu'elles soient exotiques ou occidentales, l'homosexualité n'étant pas différenciée du reste des pratiques sexuelles.

Ce «marquage» doit être considéré alors comme une progrès sociétal : s'il est prévu un parcours de ces items, c'est à la fois que l'on considère que le public LGBT qui visite les musées n'est pas négligeable (ah ! le sens esthétique des garçons sensibles...) et d'autre part que la visibilité queer entre progressivement dans la norme sociale. Mais foin de tout optimisme béat, prenons cette expérience muséale pour ce qu'elle est : une tentative supplémentaire de faire progresser les mentalités, quitte à avoir des retours de réactions archaïques. L'avenir le dira.

Un reproche toutefois : cette vidéo est à la visite de musées ce que le hamburger est à la gastronomie. On ne visite pas le British Museum de cette manière-là, et l'intérêt pour les différentes civilisations qui y sont représentées ne se limite pas à la seule caractéristique homosexuelle !



vendredi 14 juillet 2017

14 juillet

Cette fête ritualisée semble trouver du sens : onze mille policiers et gendarmes sont mobilisés aujourd'hui pour la sécurité dans notre belle capitale ! Il paraît que le président américain sera présent. Il paraît également qu'il faut réduire les dépenses de l'Etat...



Si le 14 juillet a encore du sens, c'est dans les combats que mènent les jeunes gens ou les moins jeunes aujourd'hui pour continuer à refuser les absurdités : ventes d'armes et autres saloperies.
Allez, je ne serai pas long : retour à notre bon vieux Georges, et une belle vidéo de HK et les Saltimbanks. Reposons-nous aujourd'hui, et prenons les plaisirs où nous les aimons !





dimanche 9 juillet 2017

Lettre à Ludo

Cher petit Ludo,
On m’annonce cette triste nouvelle, et j’ai envie de te dire tout ce que m’évoque ce que tu avais voulu rendre public. J’avais écouté, l’autre année, cette espèce de cri de détresse que tu exprimais, qui m’avais laissé pour le moins mitigé : touché par tant de souffrance dite, mal à l’aise de la manière dont tout cela était rendu public. Mais après tout, en avais-tu vraiment le choix ? Ta naissance, comme le mariage de tes parents, fut un produit marketing, rendu bankable sur la presse qui ne s’appelait pas encore people, mais « à scandale », faite pour la population de pauvre culture qui faisait la masse que l’on méprisait ainsi.
Je ne sais pas si c’est une chance d’avoir connu cette période. Elle avait ses côtés amusants. Par bonheur en tout cas, j’étais trop jeune pour être vraiment touché par les artifices utilisés pour laisser croire aux adolescents que ce système était le miroir dans lequel ils pouvaient se reconnaître. Le « temps des copains » identifié comme celui permettant, au sortir finalement récent de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre d’Indochine, mais encore celui des « événements » d’Algérie, ce temps des copains donnait l’illusion que la société sortait progressivement de son engourdissement. Le modèle américain traçait pour a France des voies à suivre. La musique française fabriquait ses ersatz : Jean-Philippe Smet devenait Johnny Hallyday, Claude Moine prenait le nom d’Eddy Mitchell et le Niçois Hervé Forneri se voulait rocker sous le nom de Dick Rivers. Une marchande de bonbons à couettes habillée de jupes écossaises se mettait à chanter également. Il fallait bien que les filles trouvent leur place : elles représentaient la moitié du marché. Ainsi Annie Chancel devint Sheila, prénom anglo-saxon comme les autres. Il n’y avait à peu près que les Italiens qui essayaient à quelque chose près, de conserver leur culture dans leur façon d’être.
Il fallait alors un peu de culot pour se produire sur scène. Le samedi, les bals populaires étaient prisés, et dès qu’on savait un peu jouer de la guitare, de la batterie, du saxo, voire de l’accordéon, ou qu’on savait chanter, chacun était tenté de créer un orchestre qui rapportait quelque argent de poche, lorsque l’argent était réinvesti le plus souvent dans le matériel de sonorisation qui restait onéreux. Annie Chancel avait du culot, et l’envie de se produire sur scène. Rapidement elle devint ce miroir dans lequel les collégiennes se reconnaissaient. Les textes des chansons parlaient de la vie quotidienne et des amourettes naissantes dans les groupes de jeunes qui se constituaient de manière grégaire. On entendit successivement L’école est finie quand, justement, la jeunesse exprimait son dégoût d’une école trop ancrée dans les représentations de l’avant-guerre, de la rigidité autoritaire, la liberté apparaissant alors dans les groupes de copains. Le terme fut utilisé ad nauseam : « Vous les copains, je ne vous oublierai jamais, et dou-a, didi, didi dom, didi dou… » C’était un retour à la période zazou, en moins bien, sans doute. Un feuilleton télévisé s’appelait même le temps des copains : le comédien Henri Tisot, provençal, fit son succès un peu plus tard en osant imiter le Général de Gaulle, ce qui était alors d’une grande audace. On oublia les autres, et Janique aimée. Sheila fit son chemin, d’autant plus que « petite fille de Français moyen », elle affirmait sa place dans cette société qui déjà s’enfonçait dans le conformisme jeune. Il n’y avait sans doute que la « Rive gauche » parisienne qui laissait encore la place à la véritable poésie, et si la voix solide de Claude Nougaro surgissait parfois sur les ondes, la « vague yé-yé », sirupeuse ou rythmée était le quotidien nourricier des oreilles adolescentes.
Aujourd’hui, c’est avec amusement que l’on regarde cette période : elle eut ses bonheurs, sans doute, de même que les événements plus dramatiques de la fin de la colonisation apportèrent leur lot de tragédies. Dans une France qui sortait de son engourdissement, on fit peu de cas de ces tragédies qui s’individualisèrent et se réfugièrent dans une grande période de latence, quitte à ressortir plus tard dans une société en doute.
L’autre regard porté par la jeunesse française sur l’étranger fut la Grande Bretagne : les magazines pour la jeunesse tarissaient d’autant moins sur les sujets de la mode et de la musique d’Outre-Manche que la créativité y fleurissait sans borne. Les Beatles, les Rolling Stones furent de ceux qui permettaient de sortir du cadre seulement français : la contre-culture, mêlant des apports américains, britanniques, allemands, africains, asiatiques devenait alors ce lieu d’explosion des esprits. On ne reprenait cependant que ce qui avait déjà été, de manière beaucoup plus timide, dans les esprits à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième : le goût pour l’errance, le changement de mode vestimentaire, l’emprunt de formes musicales modales exotiques et surtout l’idée que le monde capitaliste ne permettait qu’un consumérisme sans lendemain devenait, finalement, le fondement d’une contestation généralisée du système économique. De quoi préparer l’explosion de mai 1968 pour les jeunes.
Le monde de la variété française n’allait pas aussi loin : conformiste il était, conformiste il restait, Michel Sardou représentant le parangon d’une société rigidifiée dans ses images autoritaires, parfois homophobes de ses représentations. Les autres chanteurs n’étaient pas beaucoup plus progressistes : l’idée que l’argent, issu de leur dur labeur, n’était que la récompense sans nécessité de redistribution fiscale, était bien répandue. Et parfois d’autant plus qu’issus de milieux pas toujours favorisés, cette réussite apparaissait comme le possible merveilleux de cette société en devenir, le facteur chance favorisant, de plus, le destin d’étoile qui se profilait. Le destin en favorisa certains. D’autres sombrèrent dans un oubli terrible.
La petite fille de Français moyen fut favorisée : les hommes du marketing lui fournirent ce qu’il fallait de promotion, de répertoire à adapter, de show dancers pour animer des soirées de télévisions. Et lorsque la musique de variétés s’adaptait au disco, la petite fille fit de même.

Entretemps elle avait rencontré l’un de ces musiciens chanteurs fabriqué de toutes pièces à partir de sa seule belle gueule. Un Français de l’Occitanie profonde, au nom typiquement occitan. On imagine mal ce nom sur une affiche. Le producteur de la petite fille de Français moyen lui donne un nom typiquement anglo-saxon : Ringo. Ce n’est que quelques années plus tard que la proximité phonétique de ce nom évoquera la sémantique de ringard. Mais le mot ringard n’est pas encore popularisé. Il évoque ceux qui sont derrière le ring du combat de boxe, qui ne sont plus dans la course. Ringo n’est pas encore tout à fait ringard. Il chante Elle, je ne veux qu’elle. Elle tombe, préparée à cela, sous le charme de ce modèle de macho franco-méditerranéen : ils s’habilleront tous deux avec les caricatures de fringues britanniques. La mode est aux pantalons moulants à pattes d’eph et aux chemises à jabots. Les Britanniques les portent avec ce sens de la manière décalée. Les Français qui s’y essaient sont seulement ridicules. Sheila et Ringo se marient avec pour témoin l’autre sommité de la variété : Claude François dont une électrocution ne nous a pas vraiment définitivement délivrés de sa voix nasillarde. La France réac se réjouissait ainsi de ce mariage qui faisait la joie de la presse pour femmes frigides et garçons sensibles. Car le « milieu » homosexuel adorait Sheila. Et Dalida, entre autres. Alors Sheila et Ringo laissèrent les gondoles à Venise, faisant la joie des rimailleurs en ise. Et toi tu arrivas deux ans plus tard.
Cela, Ludo, tu ne l’as connu sans doute que par ce qu’on t’en a raconté, et le fric dont tu as profité comme Fils de ne t’a pas apporté ce dont tu avais le plus besoin. De l’amour, et au moins de l’affection. Je ne suis pas sûr que les familles sont en mesure d’apporter cela. Lisant Edouard Louis, d’une famille qui n’avait, raconte-t-il, pas beaucoup de ressources, ce n’est pas l’argent ou la pauvreté qui fait la richesse du cœur. En tout cas, j’imagine le vide qui t’a entouré, comblé de choses les plus inutiles les unes que les autres prétendant combler celui de l’affection de tes parents.
Ton géniteur fout son camp six ans après le mariage. Il était davantage porté par une contamination du succès de ta génitrice que par ses propres talents. Sans doute savait-il à peu près chanter : autrefois, même dans la France pétainiste on aimait chanter, et parce que finalement, et plus particulièrement dans le Midi, on aime chanter. Mais il en faut davantage pour mener et poursuivre une carrière. C’était Sheila qui savait mener un spectacle, même si les deux avaient le même producteur. Alors le macho en prit ombrage, et s’enfuit d’un système où il n’avait pas sa place.
Plus tard, tu racontes qu’il t’a oublié, et que tu pars à sa recherche. Quand tu es plus jeune, il t’a téléphoné quelquefois, pour les fêtes, les anniversaires. Et puis plus rien. Tu conserves l’image de ce garçon qui apparaît sur les plateaux de télévision, image typique d’un garçon viril dans lequel tu aimerais te reconnaître.
Quand tu sonnes à la porte de cette maison d’une banlieue de Toulouse, c’est un homme en tatanes, en marcel et bedonnant qui vient t’ouvrir. Il vit lui-même avec sa mère. « Oublie-moi », te dit-il, « je n’ai rien à te dire, tu ressembles trop à ta mère ». La rencontre dure à peine plus d’une minute. Tu t’enfuis. Tu t’effondres en pleurant. Tu as compris que tu n’as pas eu en face de toi l’image d’un père, mais d’un type qui a seulement lâché un peu de sperme dans le con de celle qui t’a donné naissance. Tu as à chercher ailleurs ce père improbable. Tu dis que tu as été soulagé d’avoir finalement en face de toi l’image qui faisait exploser celle d’une réalité qui n’existait plus, qui n’avait sans doute jamais existé. C’est, bien sûr, une libération, brutale, salutaire. Elle te donne toute licence pour chercher qui tu es, en dehors de cette filiation qui n’a subitement plus de sens. Mais c’est également une quête amère, difficile qui te renvoie vers toutes les opportunités.
Il faut évoquer les moments où, te cherchant, tu t’es perdu vers les expériences les plus sauvages. Il y a eu cet accident de scooter qui manque te défigurer. Il y a ces expériences où tu vends ton corps, peut-être pour savoir ce qu’il vaut aux yeux des autres, davantage que pour trouver ton plaisir. Le plaisir, tu l’auras rencontré peut-être avec quelques personnes qui t’apportent une affection, sachant celle dont tu es en déficit depuis tant de temps. Mais l’affection n’est pas de ces marchandises qui se valent toutes. Elle reste dans cette configuration qui n’a jamais existé, d’une famille perdue, d’une mère toute entière vouée à l’image de son métier qui seul l’a fait exister. Le père est l’absent, même pas parti en héros pour une guerre troyenne. Non, c’est un petit gars minable, raciste de surcroît, d’une province sans ambition, encore capable de vendre des pizzas dans un quartier sordide d’une banlieue sans rêve.
J’imagine qu’à chaque fois, chaque rencontre avec un homme t’a permis de rêver, avec ce battement de cœur qui oscille entre le désir qui monte et la possibilité de rencontrer un type différent, porteur au moins d’un peu de tendresse. Mais le désir une fois assouvi, tout redevient d’une grande banalité ; la chair est triste, et là, il n’y a pas de livre. Jusqu’à l’exploration d’un corps à démembrer, dont tu recherches l’ultime souillure pour en retrouver l’essence. Lorsqu’on n’existe plus dans la fulgurance il reste à découvrir en soi ce qui reste de l’extinction de l’être.
Il était hautement improbable que nous nous croisions. Peut-être aurais-je pu simplement te parler de patience. Que pourrait la patience à un feu inextinguible ? Les quelques années qui me séparaient de toi m’auraient permis au moins de te parler d’apaisement, de silence devant encore davantage d’injustice de ce monde. Mais ce feu qui te consumait n’avait pas la vertu de te permettre d’attendre. Ton choix final n’est sans doute pas la meilleure décision que tu aies prise. Est-ce d’ailleurs vraiment une décision ? Tu ne connais sans doute pas ce texte qu’Antonin Artaud avait écrit à propos de Vincent Van Gogh et de son suicide : « Mais, dans le cas du suicide, il faut une armée de mauvais êtres pour décider le corps au geste contre nature de se priver de sa propre vie ». Les mauvais êtres, tu les as eus contre toi, en te donnant d’abord une vie que tu n’avais pas choisie ; en te faisant vivre dans l’illusion du confort quand l’esprit même te sollicitait vers un reflet de ton image qui n’était pas le tien ; en mettant autour de toi ces regards qui t’ont définitivement réifié parce que, comme tu l’as écrit toi-même, tu étais « Fils de », t’empêchant d’être, simplement.
Cher Ludo, tu as gagné ton néant. Je n’approuve pas ce que tu as fait, mais je ne juge pas ton geste : quand il ne reste que son pauvre corps pour exister, c’est déjà une victoire sur les mauvais êtres. Je t’envoie, dans ce néant où tu te trouves, une pensée pleine d’affection pour les moments d’enfer que tu as vécus. Faisant cela, je pense également à tous ces autres garçons dont on ne parlera jamais, qui, comme toi ont vécu d’autres enfers, perdus dans la recherche d’autres garçons, et qu’un père improbable n’a jamais été en mesure de serrer dans ses bras. Il reste pour tous ces garçons perdus ces mots d’un héros en qui la fraternité s’était exprimée, et l’appel à un père qui n’est jamais venu. Lamma sabacthani ? Que ton souvenir s’apaise aujourd’hui.

 Pour toi le Requiem de Gabriel Fauré.

vendredi 7 juillet 2017

Arcadian broad - Time

Quand le corps est en devenir, qu'il donne son regard vers l'horizon....


jeudi 6 juillet 2017

Salonique

Une très courte vidéo de Maurice Amaraggi, empreinte de poésie et de nostalgie. Si Athènes possède une magie singulière, Thessalonique est pour moi la porte de l'Orient, lieu de passage où l'on ne peut s'arrêter qu'un court instant.
J'ai en mémoire ce café où je m'étais réfugié, un peu à l'écart de la place où la jeunesse dégustait des "frappés" et des colas. J'avais besoin simplement d'un moment de calme. Dans cette salle de café, ce kafeneion, où des retraités passaient l'après-midi, en silence et dans l'attente de l'éternité, je me suis posé un quart d'heure. J'ai demandé un skéto, que j'ai dégusté lentement, avec la parfaite conscience de l'instant que je vivais, entre deux temps, deux périodes qui s'entrechoquaient dans une Grèce en plein bouleversement. A cet endroit précis de Thessalonique, un instant j'ai savouré cette sensation d'être à la charnière du temps.



mercredi 5 juillet 2017

mardi 4 juillet 2017

El cielo dividido

Voici quelques scènes d'El cielo dividido, film mexicain de Julian Hernández sorti en 2006, l'histoire d'amours masculines contrariées par une relation triangulaire... Je ne l'ai pas vu, mais les acteurs semblent charmants !


lundi 3 juillet 2017

Freaks

Freaks est le titre du film de Tod Browning, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du cinéma international, sorti en 1932.

Je parlais l'autre jour du droit du corps. Freaks interroge la réalité de ce corps, du désir, de l'amour.
Personne ne sort du visionnage de ce film avec le même regard sur le monde.

Freaks était également le titre d'une série de BD de Gilbert Shelton, à partir de 1968. La contre-culture américaine revendiquait le terme pour dire à son propre profit que le regard étranger posé sur l'autre devenait vite dérisoire : on est tous le freak de quelqu'un d'autre...


dimanche 2 juillet 2017

Célété

C'est l'été me dit-on, et la température a baissé. Beauté des paradoxes. J'avais parlé, il y a quelques mois - ici -  du film de Paolo Sorrentino Youth-La Giovinezza sorti en 2015.

En voici la musique de David Lang : Just

Passez un bon dimanche, au chaud, au frais, enfin just comme vous voudrez.



samedi 1 juillet 2017

Avoir le droit de son propre corps

Tout le monde le sait : Simone Veil vient de disparaître après une vie consacrée à sa vision de la droiture morale. Je lui rends ici hommage, comme tant d'autres, me rappelant également quelques souvenirs de l'époque où la loi sur le droit à l'avortement a été l'objet d'une lutte intense. 

Dans la France pompidolienne, héritière du vieux monde dont déjà on ne voulait pas, mais qui résiste encore aujourd'hui en 2017, la jeunesse aspirait à vivre autrement. Quelques années après mai 1968, la France reste encore cet Etat policier, pas sorti de ses deux guerres coloniales qui laissent des traces et des cicatrices profondes : l'Indochine et l'Algérie. Vivre autrement, c'est justement s'affranchir du comportement colonial en France, c'est également disposer de son corps librement : ne pas accepter d'aller combattre pour la cause coloniale, refuser toute forme d'embrigadement, et dire que son désir d'avoir des rapports sexuels ne regarde personne que soi et la personne avec laquelle on partage ce désir. On ne fait pas l'amour parce que la France a besoin de chair à canon, ni pour reproduire cette société honnie du XXe  siècle, pétrie de génocides, de guerres atroces, et qui n’a connu le plaisir que dans les salons de sa bourgeoisie ou dans les rares moments de goguettes que les classes populaires ont pu s’accorder de temps à autres : tout le cinéma français de cette période en témoigne.

La fin du pompidolisme coïncide avec ce droit fondamental de disposer de son propre corps. Michel Foucault a publié l’Histoire de la folie à l’âge classique en 1961, il publie Surveiller et punir. Histoire de la prison en 1975. Dans cette période, toute la réflexion sur le rapport entre le corps privé et la société est amorcée, de la relation entre la norme sociale — ce que la société accepte concernant ce que l’on fait de son corps — et ce que chaque individu est en mesure d’en faire et d’en dire. Peut-être a-t-on un peu oublié aujourd’hui l’importance de ce moment et la force de la pensée de Foucault. Il a des continuateurs, certes, qui n’ont pas forcément son audience : je pense précisément à Geoffroy de Lagasnerie[1]. Foucault permet ainsi de repenser le corps, et notamment le fait que cette relation passe par un arsenal juridique qui règlemente cette relation. De la folie au crime, il y a une amplitude extraordinaire qui détaille la manière dont on peut s’échapper à la norme. L’homosexualité, considérée comme une déviance pathologique en fait partie alors. L’avortement également, qui est un acte permettant de choisir ou non d’avoir un enfant, alors que la contraception et, de manière générale, l’éducation à la sexualité, font l’objet d’une obstruction de la part des institutions. Avoir échappé globalement à l’emprise de l’Église catholique ne libère pas systématiquement les esprits : encore une fois, on peut professer librement la laïcité alors que la religion se trouve encore dans les chambres à coucher. Le poids moral, le regard d’autrui dans cette France ringarde pèsent terriblement, et il faut un véritable courage pour oser refuser la fatalité qui consisterait à considérer qu’avoir un enfant hors mariage fait une vous une « fille-mère » statut qui consacre l’état de péché moral, atteinte à la famille. Tout le dix-neuvième siècle est également l’histoire de ces enfants abandonnés à des orphelinats, dont on peut lire encore le nom de manière ironique dans certains patronymes ou matronymes[2]. La société préférait de loin que l’on produire à tout va cette chair à canon, utilisable de l’usine au bagne, plutôt que d’accepter la médicalisation de l’avortement. Les « faiseuses d’anges », de l’aiguille à tricoter à la tige de persil, savaient faire ou non : les statistiques sont effrayantes qui témoignent de la cruauté de cette pratique clandestine entrainant pour les jeunes femmes, isolées, une situation de détresse absolue. Isolées, car tomber enceinte était parfois la conséquence d’un moment de plaisir d’un soir et l’amant une fois pris son plaisir, s’enfuyait sans autre forme de procès. Parfois c’étaient de jeunes couples, à peine installés dans la vie, qui voyaient avec effroi l’arrivée d’un enfant alors qu’eux-mêmes sortaient à peine de l’enfance. La réprobation parentale était terrible tant le poids du qu’en dira-t-on pouvait rejaillir sur l’ « honneur » des familles !
Alors il y eut beaucoup, énormément de « faiseuses d’anges ». Dans la période qui suivit la Seconde Guerre mondiale, les pays anglo-saxons, catholiques exceptés, donc l’Irlande, surent évoluer. Les pays méditerranéens, restés catholiques eurent davantage de difficulté. La place de la France est à cet égard significative : la bataille que mena Simone Jacob-Veil montre assez l’hypocrisie du système institutionnel. Certains députés catholiques étaient opposés à une loi autorisant l’avortement alors que les mêmes savaient trouver une adresse où faire avorter leurs maîtresses !

Dans le contexte que j’ai évoqué plus haut, il n’était pas possible de continuer plus avant cette situation : Pompidou et une partie de sa génération disparaissant, la société « libérale » de Giscard d’Estaing se devait de ne plus rester attardée dans cette France du XIXe siècle. Simone Veil s’attela au projet de loi, sans se douter, certainement, des saloperies qu’elle, déportée par le Régime de Vichy et les Nazis, aurait à endurer de manière aussi dégueulasse. Rappelons que les dernières femmes guillotinées en France le furent la dernière sous la IVe république pour avoir assassiné son mari parti vivre avec son amant ( !) et l’avant-dernière sous l’État français de Pétain pour avoir pratiqué des avortements. La résistance de ces pétainistes, auxquels s’étaient joints parfois les communistes (rappelons que c’est cette même position que prend Pier Paolo Pasolini contre l’avortement, au prétexte que le birth control est un moyen néo malthusianiste au service des capitalistes pour limiter la pression de la masse ouvrière. Communistes et capitalistes se retrouvent encore une fois dans une alliance objective. Dans cette même logique, pour les uns la masse ouvrière opprimée sert les intérêts de la cause prolétarienne contre le capitalisme, de l’autre permet, selon les besoins, de faire de bons ouvriers ou de bons soldats, soumis, de toute manière au pouvoir par la soldatesque.
Mais revenons à Simone Jacob-Veil : oui, elle dut supporter les dégueulasseries de toute la droite catho, toujours pas morte à l’heure actuelle, voir du côté des « Identitaires » avec la nièce de la fille du vieux bouledogue. Simone Jacob-Veil, encore récemment recevait des menaces de mort, des courriers d’insultes de psychopathes religieux. Pendant la défense de cette loi, ces crapules réactionnaires faisaient entendre des enregistrements de cœur de fœtus, exhibaient des bocaux contenant des fœtus pour démontrer, selon eux, qu’un fœtus était un être humain qu’on « assassinait » avant sa naissance. Les mêmes braves gens n’étaient cependant pas davantage émus lorsque les soldats français massacraient des enfants dans les pays colonisés. Eux étaient, cependant, réellement nés, et de véritables être humains. En dernière analyse, c’est bien le problème de la race qui se posait entre les blancs et les autres : la valeur des futurs enfants blancs se pouvant être comparée à la valeur des enfants des « sous-hommes », expression encore utilisée par le très socialiste Georges Frêche il y a quelques années !

Je vais rappeler un élément factuel à ce sujet concernant l’évolution sociétale et les événements de contre-évolution auxquels elle s’affronte : en Union soviétique, la liberté du divorce et de l'avortement est promue par Lénine en 1917 et 1918 ; ce droit est aboli définitivement par Staline en 1932. Philippe Camby  cite Paul Vaillant-Couturier dans l'Humanité en 1935[3] « Il faut dès à présent employer les vrais moyens de sauver la race ».  Dans ces termes d’un Français nationaliste, fût-il communiste, tout est dit.
Pour avoir enduré tout cela, Simone Jacob-Veil fut une femme d’une immense dignité. Ce billet est long : j’ai essayé de rappeler en quoi l’enjeu du droit au corps n’est pas acquis, et si la loi aujourd’hui a le mérite d’exister, elle peut être encore bien améliorée.

Je voudrais terminer par un principe qu’il n’est pas inutile de rappeler et qui, d’un point de vue philosophique et anthropologique reste essentiel des droits humains : aucun être humain ne peut s’arroger de droit sur le corps d’un autre être humain, quelle que soit son origine, quel que soit son âge, quel que soit son genre.





[1] On peut lire avec grand intérêt son Penser dans un monde mauvais paru au début de cette année aux PUF.
[2] Le cardinal Vingt-trois est un descendant de ces enfants abandonnés qui a pris comme patronyme ne numéro du berceau de la salle où étaient recueillis les enfants.
[3] Philippe Camby, L'érotisme et le sacré, Paris, Albin Michel, 1989, p. 213.