Je préfère le dissensus dur au caramel mou

Je préfère le dissensus dur au caramel mou
Medusa – Il Caravaggio

Parfois on aimerait, face à la violence du monde, qu’un garçon vous prenne dans ses bras et murmure : « Ça ira, je suis là, on connaîtra des jours meilleurs… »

mercredi 30 août 2017

Fou de Vincent


Combien d’années, Hervé ? Vingt-six ans que tu es parti choisissant de ne pas supporter davantage la maladie. Le film de Robin Campillo nous rappelle à ces années terribles où les gens disparaissaient, comme  marqués par ce sceau infamant ; il ne restait que la compassion, qui n’était pas pour autant un protocole. Je ne posais pas de questions. Il me semble même me rappeler que je ne me posais aucune question tant cet accablement paraissait hors de toute possibilité de poser individuellement quelque acte que ce soit, tant la maladie n’était pas seulement celle d’une pratique sexuelle limitée à un seul sexe. La maladie soudain rendait apparente l’homosexualité, tangible, la sortait de cercles tacites. Tu rendis plus inacceptable encore la chose. Je me rappelle quelques uns, quelques unes disparues modestement, sans dire quoi que ce soit de ce qui les frappait comme une sorte de fatalité, comme autrefois le choléra, la peste. Il fallait que le corps porte les stigmates de la maladie, l’évanescence des silhouettes, la pâleur des visages émaciés. Puis les corps disparaissaient. Il ne fallait rien en dire. Rien était mieux que le risque qu’un jugement moral insupportable vienne s’ajouter à l’inacceptable.


Tu étais alors devenu, Hervé, celui par qui la maladie prenait cette place dans l’espace public, parce que l’écriture semblait le moyen le plus évident d’en parler, de refuser qu’à l’opprobre d’une catégorie sexuelle se rajoute celle du statut de malade. J’imaginais ce qu’Antonin Artaud aurait pu dire de cette maladie, de son instrumentalisation par les forces d’obscurité à l’œuvre et toujours prêtes aux haines ordinaires. Le sida comme moyen de réduire à néant les pédés parce que leur corps se prête de manière privilégiée à recevoir les coups, de quelque nature qu’ils soient. Sans doute les pédés n’étaient-ils pas les seuls à subir ce fléau. À tout le moins ils demeuraient les plus visibles et les moins excusables pour ce monde qui n’a jamais eu beaucoup de compassion réelle.
Je n’en dirai pas davantage. Je voulais seulement rappeler ton visage, ton beau visage dont j’étais un peu jaloux. De ta capacité également à dire les choses, moi qui n’en étais pas capable, occupé par d’autres démons de la vie.
Ces jours-ci j’ai relu Fou de Vincent. J’aurais aimé te dire tout ce que ces quelques pages évoquaient, sans doute pour beaucoup de garçons amoureux, et souvent malheureux en amour. Tu commences le livre par ces mots :
« Dans la nuit du 25 au 26 novembre, Vincent tombait d’un troisième étage en jouant au parachute avec un peignoir de bain. Il a bu un litre de tequila, fumé une herbe congolaise, sniffé de la cocaïne. Le trouvant inanimé, ses camarades appellent les pompiers. Vincent se redressa brusquement, marcha jusqu’à sa voiture, démarra. Les pompiers le coursent, s’engouffrent dans son immeuble, montent avec lui dans l’ascenseur, pénètrent dans sa chambre, Vincent les injurie, il dit : ‘Laissez-moi me reposer’. Eux : ‘Andouille, tu risques de ne jamais te réveiller.’ Dans la chambre d’à côté, ses parents continuent de dormir. Vincent a foutu les pompiers dehors. Il s’est endormi comme un charme. À neuf heures moins le quart, sa mère le secoue pour l’envoyer au travail, il ne peut plus bouger d’un pouce, elle le transporte à l’hôpital. Le 27 novembre, prévenu par Pierre, je rendis visite à Vincent à Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Deux jours plus tard, il mourait des suites d’un éclatement de la rate. »

Hervé, je ne ferai pas une critique littéraire de ce que tu as écrit. Je n’écris pas comme tu le faisais. On ne s’attachait pas alors à cette précision de l’écriture, et il fallait un écrivain comme Jean ou quelques autres pour savoir ce que la notion de rigueur de l’écriture impliquait comme travail de l’esprit ; à quel point ce qu’un texte vaut d’engagement personnel et de renoncement à vivre : on n’écrit jamais parce que l’ennui serait alors distrait par un refuge dans l’écriture. Au contraire, chaque mot est une manière de se saisir du réel, non de celui, factuel, qu’un préposé aux faits divers serait en mesure de traduire d’une perception élémentaire, mais du réel cuisant qui préside à l’échéance des événements que la vie provoque ; ou encore de celui que l’écriture elle-même peut provoquer dans l’invention du réel, faisant advenir ce qui paraissait improbable encore peu de temps auparavant. On tutoierait alors les dieux si on ne savait pas de quelle fatuité cette attitude pourrait procéder ; mais il ne s’agit alors que de dire quelles grâces ces mêmes dieux ont permises, quels miracles impromptus ils se sont ainsi autorisés à rendre visibles, ce par quoi le verbe se fait chair, la vie se rend irriguée d’une sève qu’on ne perçoit que de manière inopinée.

Fou de Vincent. Ce n’est pas d’avoir voulu écrire qui rend possible la description de cet amour. Il déborde les mots, la narration des instances de cet amour, la vacuité de cet enfant perdu dans son plaisir des psychotropes, son incertitude du plaisir des garçons ou de celui des filles. Le désir de lui va jusqu’à la pensée de l’anéantir, le démonter pour en connaître l’essence dont sa bite reste la plus évidente preuve. Faire l’amour comme des enfants, car rien n’est sérieux, même pas le chagrin. Il reste à écrire cet amour à l’envers du temps, vers ce moment où tout a commencé, vers la dernière fiction possible : « […] toi, tu m’as plu. »

lundi 28 août 2017

Presque rien

C'est un beau titre que celui choisi par Sébastien Lifshitz pour parler de ces premières amours incertaines, où le désir s'exprime malgré les retenues qu'on éprouve dans le même temps. Les deux acteurs sont dans une grande justesse de ton, et effectivement, il ne se passe presque rien, sauf que tout bascule dans cette forme d'impossibilité à conduire sa vie simplement...

Jérémie Elkaïm et Stéphane Rideau sont parfaits, comme toujours, avec un rôle davantage nuancé pour celui de  Mathieu (Jérémie Elkaïm), mais le personnage de Cédric reste également très attachant.

Sorti en 2000, il y a déjà dix-sept ans, Presque rien venait "confirmer un cinéma français gay ambitieux et libre " écrivait naïvement Télérama. On conviendra qu'en 2017, les essais marqués par Ozon, Lifshitz, Ducastel et Martineau n'ont pas été véritablement transformés dans une visibilité grand public. Είναι έτσι, c'est ainsi. Qu'attendait-on vraiment ?

Il reste un beau film, frustrant par certains aspects, mais après tout, très en prise sur le monde gay...

On se rappellera également la photographie faite pour ce film par Pierre et Gilles.

Le film est complet, d'une durée de 95 minutes. Faites comme si vous étiez encore en vacances !




vendredi 25 août 2017

Epiphony

Une chorégraphie ODNI (objet dansant non identifié). Étrange, peu pénétrant, intrigant... A voir. Imaginons que sur les toits des immeubles se mettent à danser les garçons d'été, en ces formes non convenues, mais spontanées, comme des défis aux déterminismes du ciel...

mercredi 23 août 2017

Le premier mec même si

Bien souvent le coeur s'attache où le regard se pose «le premier caleçon venu vous en impose !» aurait pu écrire le grand Georges s'il en avait été...
Petit short film-fiction d'Erik Gernand qui fait très vrai...

lundi 21 août 2017

Vacances

Véhèmes sera globalement en vacances cette semaine. J'écris «globalement» car je programme quelques billets pendant que je sacrifierai aux rituels estivaux qui consistent à se faire dorer la couenne sur les routes. Si tout va bien mon périple passera par Torino. Voici une vidéo présentée en anglais (no comment !) par un sympathique ragazzo. Turin n'est sans doute pas la plus attractive des villes italiennes : on en retient que la FIAT en a fait sa richesse industrielle. La ville n'en a pas moins de nombreux charmes et mystères, pas tous évoqués dans cette vidéo ! Si vous venez un jour à Turin, prenez le temps de passer, de jour comme de nuit dans ce que le hasard et l'aventure peuvent vous proposer !


dimanche 20 août 2017

Les conditions de notre reddition

J'ai présenté, voici quelques temps le travail de Dimítris Papaioánnou,  The great tamer, vu à Avignon dans la programmation du festival. Les danseurs sont dans une extraordinaire présence et synchronisation de l'oeuvre et chacun concourt à participer de cette complétude que l'on ressent dans leur posture et leur manière de se mouvoir.
Je vous propose cette vidéo extraite du spectacle Nowhere, scène principale de l'inauguration du Théâtre national grec d'Athènes dédié à la mémoire de Pina Bausch en 2009.
La vidéo est adaptée par la chaîne Youtube Athirst sous le titre The terms of our surrender.

Bon dimanche.



samedi 19 août 2017

Harry - Forever for now

Depuis la maison des Cévennes qui se tient hors du monde, j'apprends ce qui s'est passé à Barcelone, en Finlande... Tout cela ne s'arrêtera-t-il vraiment que lorsque l'Occident sera réduit en poudre ? La conscience réinventée d'une histoire biblique ou puisée simplement dans les profondeurs des racines chrétiennes ne vaut pas le plus petit épisode de la guerre de Troie...

Le bel Harry pour passer de l'instant à l'éternité.



jeudi 17 août 2017

Une affaire de genre

Je n'ai jamais été confronté aux difficultés qu'évoque Antonin Le Mée. Cependant l'impression qu'on appartient, toustoutes, à des catégories qui ne sont pas celles d'une norme idéale, est ressentie plus souvent qu'on ne le souhaiterait. Jolie présentation de ce sujet par ce garçon qui se dit lui-même, «intersexe».


mercredi 16 août 2017

Jean Giono taulard

Voici un très intéressant passage d'un entretien avec Jean Giono. Je ne reconnais pas l'interlocuteur. Est-ce Jean Carrière, le Prix Goncourt de L'épervier de Maheux, avec lequel il a passé de longs moments d'entretien ? Je ne reconnais pas vraiment la voix de Jean Carrière, et l'interlocuteur a peu l'occasion de parler face à un Giono bavard. Mais Giono reste cet illusionniste du verbe et du réel, qui transforme le lieu où il se trouve en laboratoire de découverte et d'expérimentation. A certains égards, Giono et Genet, qui n'ont que très peu de choses en commun, participent d'une même aventure face à la médiocrité du monde. Chacun en tire des conclusions, qui, tout compte fait, ne sont pas si différentes. Peut-être un jour quelqu'un s'aventurera-t-il à explorer dans leurs écritures respectives où se trouve le chemin qui les a conduits, l'un comme l'autre, à des errances, dans le confort bourgeois et provincial, tout modeste fût-il, de l'un ou dans le voyage perpétuel de l'esprit de l'autre, dans la recherche d'une terre perdue qu'il n'a jamais eue, jamais voulue.

Giono en prison : à l'écouter, on pourrait croire que la prison aurait quelques vertus. Ce serait hasardeux de le penser, d'autant plus que les prisons de l'époque de Giono ou de Genet, si elles étaient l'archétype de l'enfermement tel que Foucault a pu les décrire dans Surveiller et punir, pouvaient encore être du domaine d'une certaine forme de socialisation, même dans ses aspects les plus durs. Je ne crois pas, à une époque où les prisons relèvent davantage de la relégation des pathologies psychologiques que de la privation de liberté au titre de la punition, que les centres pénitentiaires actuels, devenus concentrationnaires, aient la moindre vertu. D'avoir laissé se dégrader la situation des prisons au point que la France a fait l'objet d'un rapport d'Amnesty International traduit suffisamment l'état moral du pays. Je reste persuadé que l'urgence absolue qu'il faudrait appliquer au système judiciaire, délaissé par l'actuel gouvernement dans la hiérarchie des priorités, qui relève de la volonté de violence sociale, reste, comme Michel Foucault l'avait montré, un moyen de coercition faisant de la prison un traitement social de classe.

Revenons vers Giono : il nous livre, toutefois, quelques clés de l'imaginaire et de la sublimation du réel par l'écriture. La prison ne fut pas l'un des sujets de son écriture, contrairement à Genet. Il montre, en tout cas l'une des voies de la poésie, que les deux écrivains ont partagée.


mardi 15 août 2017

Les bouquins de Pierre Bergé et Umberto Eco

Il y a quelques semaines, attendant un ami à Drouot, je regardais les ouvrages proposés par Sotheby's de Pierre Bergé, plus précisément consacrés à la musique. Mise à part une édition originale du Pèse-nerfs d'Antonin Artaud, peu de choses m'intéressaient. Et, de toute manière, à investir dans quelques bouquins rares, je n'achèterais pas ceux de Bergé. Je n'aime pas le bonhomme, suffisant, arrogant. Certes, ses choix esthétiques ont toujours été très sûrs. Ce n'est pas très difficile d'aimer les belles choses quand on possède de quoi se les approprier, de quoi constituer ce qui fait la différence de classe. Je fais partie de ceux qui se sont enrichis intellectuellement avec le Livre de poche et les collections à bon marché qui sont toujours dans ma bibliothèque. J'ai eu cependant la chance de dénicher quelques ouvrages très anciens et rares qui font aussi mon bonheur, et notamment  Le voyage du jeune Anacharsis, de l'Abbé Barthélémy. Un jour peut-être ferai-je un billet à ce sujet. En tout cas, étant donné qu'il n'a pas été réédité, les éditions originales restent le seul moyen d'accès au texte, mise à part l'indispensable Gallica.

En tout cas voici une discussion intéressante, éclairante, entre le regretté Umberto Eco, disparu en février 2016 et Pierre Bergé. L'un fétichise les livres ; pour l'autre les livres sont un moyen de prendre toute la distance par rapport à ce que l'on croit être le réel ou la vérité. Vivent les livres ! Il faut les aimer. On peut aussi les jeter, les donner. Et quand il n'y aura plus de livres, il faudra, comme les aèdes, apprendre et mémoriser toutes les pages. Je profite de ce billet pour rendre hommage à l'excellente émission du samedi sur France Inter dans laquelle Sylvain Tesson parle d'Homère, de l'Illiade et de l'Odyssée. Sylvain Tesson a parfaitement saisi les vertus de ce texte qui permet de comprendre l'intérêt des mythologies, du rapport des dieux aux hommes, de la fragilité des héros, de leur rage inextinguible. Il faut relire Homère, en attendant de devoir apprendre le texte et le dire pour partager avec le monde les raisons de ses plaisirs et de ses malheurs.


lundi 14 août 2017

Pierre Akendengué - Onaga are mie bia

Un certain été je revenais de Grèce. Mon esprit continuait cependant à errer, entre les chemins de Kalambaka, de Venise, Trieste ou Otrante. Il me restait la musique qui venait porter ses notes sur mes images persistantes. Sur France Culture, opportunément, Aris Fakinos œuvrait à faire mieux connaître les ressorts de la culture grecque contemporaine, le légendaire des kleftès, le chant byzantin. L'Afrique apportait également d'autres sons qui étaient de ceux qui renouvellent les matins du monde. Pierre Akendengué était dans ces moments où le ciel s’éclairait d'une immense lumière.


dimanche 13 août 2017

Dimitris Bassis - Drapetsona/L'évasion

Une soirée en hommage à Mikis Theodorakis, dans l'émission « Stin yghia mas  Στην υγεία μάς, A notre santé !» diffusée le 20 novembre 2010. On y aperçoit le regretté Manoulis Rassoulis.

Bon dimanche !

samedi 12 août 2017

Balbino canta Lluis

«I si canto trist...»

Balbino Medellin chante Lluis, Lluis Llach, dont les déclarations récentes au Parlement catalan paraissent plutôt surprenantes, non que son engagement pour la culture catalane soit nouveau, mais du ton autoritaire qu'en tant que député il a utilisé pour défendre le séparatisme catalan.

Ça ne change en rien ses prises de positions et son action en faveur des pays dominés d'Afrique. Laissons le temps faire les choses...

Cette chanson si ancienne maintenant n'est pas plus obsolète qu'Avec le temps de Léo Ferré. Balbino Medellín l'incarne magnifiquement. En souvenir de Cabu, le père de Mano Solo disparu lui également, avec qui Balbino avait chanté.

J'ai présenté il y a deux ans cette vidéo d'une rencontre entre Anouk Grinberg et Mano Solo; C'est ici.


vendredi 11 août 2017

Le garçon du Nord

Sur les photographies qu’il m’a confiées, son regard est comme réservé, sans trop oser s’adresser à la photographe qui a dû être, comme je le suis aujourd’hui, interpellée par sa beauté. Les photographies ont été réalisées en 1965. Il a alors vingt-deux ans. Ses cheveux sont courts, comme il se doit alors ; il a le menton un peu rond, des sourcils bruns qui surplombent ses yeux en donnant ce contraste qui lui fait de magnifiques pupilles bleues. Mais son regard reste timide, celui d’une jeune fille dans les portraits du XIXe siècle. Son nez, très droit, reste peu marqué, comme s’il n’avait jamais reçu de coup de poing, et comme si chaque mâle un peu rude savait qu’il ne devait à aucun prix toucher à ce visage destiné à faire savoir la douceur possible d’un jeune homme, simplement attaché à la lecture d’un livre, pensif, et ne connaissant pas encore les plaisirs érotiques que les mots consignés sont capables de déclencher. Les lèvres sont pulpeuses, et presque trop, appelant le baiser qu’on y a envie de déposer. La rondeur du menton n’a pas permis que s’y incruste une fossette, à peine esquissée. Les détails montrent le menton rasé de très près ; la lèvre supérieure est restée enfantine, alors que le menton traduit déjà son expression de jeune mâle.
Je reviens aux yeux sur lesquels insiste le très gros plan choisi par la photographe. Ils sont également restés ceux de l’enfance, ou encore féminins, cherchant ailleurs que dans la réalité de la pose pour l’objectif de l’appareil une échappatoire. Les yeux entraînent toute la tête vers une autre attitude, et la pose aurait pu être empruntée à Modigliani. De mâle, il a encore le léger bourrelet à la commissure des lèvres, dû à l’épaississement des poils de la barbe qui donne alors à la peau une ombre dans laquelle se lit le passage à l’âge adulte. Le clair bleu de ses yeux est celui d’un garçon du Nord, quand se sont mêlées au sang de ses ancêtres les traces d’hommes du Sud venus y exercer leur domination d’alors. Si le poil reste sombre, les yeux ont conservé la profondeur du regard seulement nécessaire pour contempler le ciel et indiquer vers quelles rêveries un garçon de vingt-deux ans est encore capable de se perdre. Quelle nuit de Shéhérazade les dernières lignes du livre racontaient-elles ? L’Orient décrit devenait-il alors le contre-pied des campagnes maussades de Charleville ou de Troyes ? Je crois que c’est Agnolo Cósimo, il Bronzino, qui, un des premiers, a utilisé la pose conventionnelle qui établit aujourd’hui la relation entre ce garçon et la photographe, un peu plus tard avec le peintre.

Sandro Boticelli - Portrait d'un jeune homme au chapeau rouge - 1477

Les dernières photographies de la série prennent davantage de recul, et le garçon, tête relevée, aurait pu déjà se retrouver dans un film de la Nouvelle vague. Il aurait raconté cette situation insolite qui le rendait objet du regard d’un peintre et de son épouse photographe. Dans l’atelier du peintre il devient alors le garçon assis, avec un livre sur les genoux, le bras droit posé sur l’accoudoir du fauteuil. Il est vêtu d’une chemise blanche dont les manches aux boutons fermés débordent légèrement sur les poignets. Le col de chemise paraît presque empesé, et laisse voir le nœud d’une cravate qui est restée celle des cérémonies adolescentes. Sur la chemise, un chandail sombre accentue les contrastes que l’appareil photographique a consacrés. Enfin ses mains ont saisi presque négligemment le livre, et les doigts fins maintiennent ouvertes les premières pages, serrées entre le pouce et l’index de la main droite tandis que la main gauche soutient la couverture ouverte.
Je ne vois pas le reste du corps sur la photographie. Il n’y a que ce visage qui se veut mystérieux, romanesque. Lui me parle d’une attitude qu’il voit romantique dans ces photographies prises il y a cinquante-deux ans. Demeure cette beauté, et j’aimerais qu’il me dise l’émotion qu’il ressent envers ce jeune homme qu’il était alors. La pudeur ou la réserve l’en empêchent. Il est aujourd’hui cet homme âgé, dont les yeux bleus paraissent légèrement délavés ; les cheveux sont blancs et les sourcils, parfaitement dessinés, sont devenus ces poils blancs, un peu hirsutes. Je n’ose imaginer ce que fut son corps qu’il a abandonné aujourd’hui. Je veux croire qu’il a connu les caresses de très beaux autres garçons, et que dans leur goût commun pour la beauté des corps et des belles choses, il a pu réunir dans le même temps les moments de partage que l’exultation des esprits et celle de sa jeune virilité ont pu faire se rencontrer.
Mais il ne m’en dit rien, ne m’en dira rien. Il reste ces photographies, seule complicité qu’il me concède, avec le portrait, que dans une improbable histoire de l’image des garçons, un visiteur pourra un jour rattacher à la peinture du Bronzino, de Sandro Botticelli ou de Raffaello Sanzio.


jeudi 10 août 2017

La modification

Michel Butor est décédé l'an dernier, le 24 août 2016. Il avait écrit La modification, livre qui fut publié en 1957. On considéra qu'il participait avec cet ouvrage à ce qu'on appelait « le nouveau roman ». Il avait trente et un ans en 1957, et sans doute avait déjà réussi en tant qu'écrivain le départ de cette métamorphose qui fait que l'écriture reste le sang régénérateur qui permet de sublimer les atrocités de la réalité.
La modification reste surtout ce que l'on a retenu de lui. Il faudrait sans doute considérer qu'il s'agit là d'un point de départ.

«Il y avait rue de Rivoli la même affluence de voitures qu'une demi-heure auparavant, mais, sur tous les pare-brise maintenant, les essuie-glaces frottaient leur éventail.
Vous avez demandé pour votre déjeuner, rue de Richelieu, dans un restaurant où vous aviez déjà eu plusieurs rendez-vous d'affaires, des spaghetti à la bolognaise, mais ce qu'on vous a apporté méritait-il vraiment ce nom, ou bien était-ce la solitude dans laquelle vous vous êtes senti soudain en les mangeant qui vous a empêché de les goûter, de les apprécier selon leurs mérites véritables ? Quant au café, alors qu'on vous avait assuré avec un sourire qu'il s'agissait d'express, on vous a apporté quelques minutes plus tard un filtre, un fort bon filtre c'est entendu, mais vous n'avez pas eu le courage d'attendre que la tasse soit pleine pour la boire en payant votre note. Si c'était pour vous nourrir ainsi, dans ces sentiments-là, était-ce vraiment la peine de ne pas rentrer chez vous, de compliquer, d'envenimer encore plus vos rapports avec Henriette par un inutile mensonge de plus ?
Il vous restait tune cigarette dans votre paquet de Nazionali, mais dehors il pleuvait si fort qu'elle s'est éteinte, et vous l'avez jetée sur la chaussée. Il n'était qu'une heure et demie, et vous n'aviez pas la moindre envie d'arriver à votre bureau avec vingt-cinq minutes d'avance, d'autant plus que si vous y aviez été seul vous auriez risqué de vous y endormir: quelque habitude que vous ayez des voyages en chemin de fer, même dans les confortables premières, ils vous fatiguent toujours et de plus en plus.»

La fascination que l'on peut éprouver pour beaucoup d'écrivains tient au style, évidemment. La trouvaille de Michel Butor consiste à s'adresser au lecteur en l'impliquant dans l'histoire : c'est bien le lecteur qui est mis à la place du narrateur par l'emploi du «vous». Il y a là un usage d'importance : outre celui des temps et de leur concordance qui pose souvent problème - l'un des pires étant l'usage du futur dans le passé, employé bien souvent de manière indue -, la manière dont l'écrivain raconte l'histoire à la première, à la deuxième, à la troisième personne reste l'empreinte de ce qui sera raconté. Il n'est pas neutre que ce choix du sujet pronom personnel dans la narration. Je ne vais pas disserter là-dessus et vous laisse avec le jeune Michel Butor, interrogé par Pierre Dumayet. Mais, parlant de la façon d'écrire, il me semble important de reprendre ce contre quoi je me suis à plusieurs reprises élevé dans Véhèmes : l'usage du pronom personnel «nous» pour raconter un événement. Ce n'est pas un hasard si l'extrême droite, dans ses slogans imbéciles, utilise cette manière de s'exprimer qui ne pense rien sinon vomir sa connerie crasse: «on est chez nous». Qui plus est, on a dans cette expression terrible l'utilisation de deux pronoms personnels, qui confondus, renforcent l'indéfinition, l'indétermination de celui qui veut exprimer ce sentiment de la plus grande indigence. «On», pronom personnel de la troisième, ce n'est personne, ce n'est rien, c'est encore moins que le «il» de l'expression «il pleut». Quant au «nous», profondément détestable, il renvoie aux meutes de loups qui ont toujours besoin d'un dominant pour permettre aux dominés d'exprimer leurs servilités aux maîtres. On ne fait aucune littérature en utilisant le «nous», tout au plus des slogans de partis politiques. Les Reums (Républicains en marche) en sont passés maîtres.



Voici l'émission de France-Culture qui a été consacrée à Michel Butor à sa mort

mercredi 9 août 2017

Théo

Théo Sarapo - La solitude

Théophanis Lamboukas fut le deuxième mari d'Edith Piaf. La légende disait qu'Edith ne devait pas conserver ses amours. Théo Sarapo, ce qui signifie "je t'aime" - σ'αγαπώ en grec - ne survécut que sept ans après la mort d'Edith, dont il faut rappeler qu'elle ne mourut que quelques heures avant Jean Cocteau. Ce fut un beau garçon, d'une haute attitude morale, qui s'occupa avec dévouement d'Edith, son aînée de vingt ans dévastée par la maladie. Destin brisé dont les Moires cruelles ont voulu qu'il conservât sa jeunesse et sa beauté...


mardi 8 août 2017

Walker Evans à Pompidou

Walker Evans (1903-1975) 'Alabama Tenant Farmer Floyd Bourroughs' 1936
Walker Evans (1903-1975)
Alabama Tenant Farmer Floyd Bourroughs
1936
Le Centre Pompidou présente une exposition du photographe Walker Evans. A ne pas rater ! J'y reviendrai. 

lundi 7 août 2017

Faites du trot

Eddy de Pretto est un artiste «ocni», objet chantant non identifié. Pour lui, il a une voix assurée, le sens du texte, une véritable présence en scène. Cette chanson Fête de trop, est assez curieuse, connotée gay, bien qu'il ne présente de manière apparente aucun des codes habituels. On ne va pas s'en plaindre, de toute façon. Eddy va évoluer bien évidemment, et abandonnera un jour cette manière épouvantable de s'habiller et de se contorsionner façon 49.3...


dimanche 6 août 2017

Je mens

Alain Bashung est regretté. J'aimais ses textes, son allure, un certain sens de la dignité.
La nuit, on peut mentir, comme dans le jour en plein soleil... Peut-on dire, avec le goût du paradoxe, que l'expression du mensonge s'inscrit dans la recherche d'une vérité indicible ?
Mais la saison du bac philo est passée !

Passez un bon dimanche.

samedi 5 août 2017

Détour à Genève

Détour à Genève voici quelque temps. Je ne sais pourquoi mes routes passeront toujours par la Grèce, l'Italie et Genève. Ce n'est pas une ville très gaie : on cherche en vain l'affichage du Rainbow flag. On ne s'affiche pas dans cette ville, très cosmopolite depuis toujours. Comme beaucoup de lieux alpins, Genève est un carrefour de routes. Les gens y passent, s'y arrêtent, parfois longtemps. Pourrait-on oublier que Genève a recueilli les protestants cévenols persécuté par les dragonnades louiscatorziennes ? Pour autant, Calvin n'était pas un marrant et son souvenir se ressent un peu dans la ville. Je n'oublie pas non plus que la Suisse a su accueillir Gustave Courbet, persécuté lui également, à qui l'on reprochait la destruction de la Colonne Vendôme. Je ne sais pas si on a suffisamment raconté son chagrin dont la cause fut le retour des barbares en France, de la bourgeoisie toujours satisfaite de ses grands hommes. La France ressemblait davantage alors à Mac Mahon qu’à Courbet. La Tour de Peilz est un village situé au bord du Léman, suffisamment calme, suffisamment chiant pour que Courbet, qui fut le jeune homme magnifique, au visage expressif qui lui permit de somptueux autoportraits, devînt finalement cet homme hydropique, mort d'avoir abandonné son propre corps que, sans doute, seul l’alcool consolait de sa solitude et de son exil.


Gustave Courbet - Le Château du Chillon


Je rends grâce à la Suisse toutefois, d’être ce lieu des consensus, moi qui ne les aime guère. Descendant du Musée d’art et d’histoire, qui faillit être fermé quelques années pour un projet de rénovation et ne le fut pas par une votation opposée à la première, je passe devant la maison où vécut Zamenhof, le fondateur de espéranto. Encore un utopiste qui a trouvé en cette ville un refuge et un lieu où penser des utopies. La Suisse, Genève, lieux paradoxaux qui décline le libéralisme en termes économiques comme dans ceux de la liberté de l'esprit...
J'y reviendrai prochainement.

La maison de Ludwik Lejzer Zamenhof à Genève (petit clin d’œil à Jérôme)

vendredi 4 août 2017

Amis et amants en Grèce

Kostas Yannakopoulos a publié dans la revue Terrain, voici quelques années (1996), un travail de recherche sur les relations entre garçons en Grèce. Son analyse éclaire les relations qui paraissent souvent ambiguës, mais qu'on peut, ou plutôt qu'on pouvait trouver également en France à une époque ou les genres étaient socialement et institutionnellement séparés.



L'analyse de Kostas Yanakopoulos remonte aux années 1990, à Athènes et au Pirée. Depuis, faut-il penser que la manière dont les relations entre garçons s'organisent a été fortement influencée par les modes de pensée mondiaux, notamment par la culture gay américaine ? La tradition amoureuse grecque est si ancienne et on est tenté de croire que la pensée masculine homosexuelle est si fortement ancrée dans les relations entre garçons grecs qu'elle a pu conserver les modes relationnels traditionnels dont parle Kostas Yannakopoulos.

Je vous laisse le soin de lire l'article sur la revue Terrain en ligne : ici, lecture à compléter par un billet de blog ici.

Si la visibilité gay d'Athènes se passe notamment à Gazi, le quartier branché d'Athènes situé en direction du Pirée, il s'en faut que la culture gay d'Athènes ne soit présente que là. Après, tout se passe dans la discrétion d'une culture grecque globale qui a encore du mal à laisser voir l'ensemble de ses différences.



jeudi 3 août 2017

Les citronniers

La chaîne Arte diffusait hier soir le très beau film d'Eran Riklis, Mon fils, porté par d'excellents acteurs, sur le thème de l'identité complexe d'un jeune Palestinien Israëlien. Si vous ne l'avez pas vu, je vous le conseille en rediffusion.


En 2008, Eran Riklis avait sorti un autre magnifique film intitulé Les citronniers, dont l'histoire était celui d'une veuve à qui on doit couper les citronniers de son verger car l'armée veut ériger une clôture pour protéger la villa du voisin qui est le ministre de la Défense. Superbe film, à revoir.


mercredi 2 août 2017

Nudités insolites

La Fondation Barbier-Mueller présentait voici deux ans l'exposition Nudités insolites, rassemblant de nombreuses pièces africaines mais également européennes sur une très large période. Ce fut une magnifique exposition que présente ici Jean-Paul Barbier-Mueller.

Depuis, Jean-Paul Barbier-Mueller est décédé, en décembre 2016. Fort heureusement sa fondation reste et les collections qu'il a constituées sont toujours mises en valeurs à travers de très belles expositions que l'on peut visiter à Genève, au 10 de la rue Jean Calvin.

Je ne suis pas sûr de la pertinence du titre de l'exposition ; le rapport de la sculpture au vêtement reste un vrai débat, et ce sont plutôt les sculptures habillées qui pourraient être considérées comme insolites. Néanmoins interroger le thème de la nudité dans la sculpture reste une véritable question dans la relation à l'esthétique, dont l'immense diversité renvoie fort heureusement à l'universalité des productions humaines, et en dernière analyse, à la capacité d'abstraire des multiples visions du corps humain l'essence des formes et les émotions qui lui sont liées.



mardi 1 août 2017

Ήλιε μου σε παρακαλώ - Δημήτρης Μπάσης

Soleil mien si tu veux bien...

La superbe voix de Dimítris Bássis porte cette chanson d'amertume et de regrets des choses auxquelles on a renoncé...

Τα πουλιά τα βρίσκει ο χάρος στο φτερό,
τα ελάφια όταν σκύβουν για νερό.
Μα εμένα που ’μαι δέντρο μες στη γη
με ξεριζώνει κάθε χαραυγή.

Ήλιε μου, σε παρακαλώ,
πες στους χαροκαμένους
να κλαιν στης πίκρας το γιαλό
για μας τους προδομένους.

Σαν φονιάς τη μαύρη νύχτα ξαγρυπνώ,
πίνω δάκρυ, πίνω πρόστυχο καπνό.
Με μαχαίρια στην καρδιά μου δεν μπορώ
να τραγουδήσω και να καρτερώ.

Ήλιε μου, σε παρακαλώ,
πες τους χαροκαμένους
να κλαιν στης πίκρας το γιαλό
για μας τους προδομένους.